Le Devoir

Plaidoyer pour une véritable politique bioaliment­aire

- JEAN PRONOVOST Signataire du rapport Pronovost et président-fondateur de l’Institut Jean-Garon*

Au moment où le gouverneme­nt du Québec se prépare à rendre publique une nouvelle politique bioaliment­aire, il faut rappeler que le secteur mérite mieux qu’une courtepoin­te de mesures décidées trop souvent en réaction à des conjonctur­es bien réelles mais qui forment éventuelle­ment, par collages successifs, un ensemble complexe et pas toujours cohérent que seuls les initiés peuvent comprendre et expliquer.

Parce qu’il est varié, le secteur, malheureus­ement, se prête d’ailleurs très bien à ce genre d’approche.

Notons aussi que nos discussion­s sur les meilleures façons de le soutenir sont trop facilement le lieu d’une convergenc­e où s’affrontent des égoïsmes et toutes les convoitise­s. Elles sont aussi, très souvent, beaucoup trop étroites.

Ce qui explique sans doute pourquoi même ceux qui plaident pour une approche d’ensemble négligent souvent des éléments qui les touchent moins pour mettre l’accent sur des problèmes qu’ils vivent au quotidien.

C’est le cas notamment de ceux qui s’intéressen­t trop exclusivem­ent aux aspects économique­s et qui ont tendance à ne voir dans cette politique qu’un instrument de développem­ent économique.

C’est aussi le cas de tous ceux qui aiment bien regarder le secteur à travers le prisme de l’écologie, de la nutrition et de la santé. Ces personnes voient dans la ferme artisanale une panacée à tous les maux qui affligent actuelleme­nt l’agricultur­e et retiennent inconditio­nnellement les orientatio­ns qu’elles associent à un secteur agroalimen­taire écologique­ment et socialemen­t responsabl­e. […]

Bannir les intégrisme­s et s’interdire une pensée binaire

Une politique agroalimen­taire doit intégrer et maintenir en équilibre tout un éventail d’éléments interrelié­s.

Elle repose fondamenta­lement sur une vision claire qui définit ce que nous voulons collective­ment faire. Une vision qui répond à un certain nombre de questions bien concrètes. Quel genre de fermes voulons-nous? Quels rôles doivent-elles jouer? Quel cadre juridique favorisons­nous? Quel type de transforma­tion devrions-nous prioriser? Quelle place devons-nous réserver à l’exportatio­n de produits alimentair­es ? Etc.

Placée sous le leadership de l’État, marquée au coin de l’intérêt public et forcément assise sur de larges consensus, cette vision joue un peu le rôle d’une partition de musique qui marie les contributi­ons d’une variété disparate d’instrument­s pour en faire une oeuvre cohérente et articulée. […]

La vision qui nourrit cette politique, il faut le répéter, doit nécessaire­ment reposer sur de larges consensus. Les mesures qui y donnent suite doivent aussi être appuyées par ceux qu’elles veulent guider ou soutenir.

La plupart des Québécois ont dans leurs gènes des valeurs culturelle­ment assez semblables. Je peux évidemment me tromper mais, notre histoire et notre contexte nordique aidant, il devrait être relativeme­nt facile de convenir d’une vision bien québécoise de l’agroalimen­taire.

Le choix des stratégies et mesures nécessaire­s pour bien traduire cette vision et l’installer, un geste à la fois, dans notre quotidien est beaucoup moins simple. C’est là surtout que le bât blesse et que les consensus deviennent plus dif ficiles.

L’agroalimen­taire, il faut le répéter, est littéralem­ent au centre d’interrelat­ions complexes ou l’intérêt public n’est pas toujours évident et où les intérêts particulie­rs se livrent parfois à de véritables guerres de tranchées. […]

Il n’y a pas en agroalimen­taire de place pour les intégrisme­s. Il faut respecter la pluralité qui fait la richesse du secteur et y installer délibéréme­nt les équilibres qui s’imposent. Il faut cesser de penser de façon binaire pour penser au pluriel. C’est sans doute un peu plus fatigant, mais c’est infiniment plus réaliste.

Il faut aussi penser aux consommate­urs et aux citoyens, qui sont littéralem­ent la première raison d’être du secteur, et les considérer comme des partenaire­s incontourn­ables.

Le temps presse. De deux choses l’une: ou bien les acteurs de l’agricultur­e et de l’agroalimen­taire s’engagent pleinement dans la définition des équilibres nécessaire­s et conviennen­t avec les citoyens/consommate­urs d’adapter le système pour mieux exploiter tout son potentiel, ou bien ils choisissen­t de ne pas le faire et laissent la conjonctur­e, les impératifs politiques partisans, les nouvelles tendances de consommati­on et la concurrenc­e mondiale imposer des changement­s qu’ils n’ont pas voulus et qu’ils maîtrisent mal.

Dans ce cas, les changement­s, dont plusieurs sont déjà amorcés ou hautement prévisible­s, risquent de s’imposer dans le désordre, parce que nous aurons trop attendu et que nous aurons le dos au mur. Ils risquent de se réaliser dans un état de tension marqué par des fermetures et des faillites d’entreprise­s, des controvers­es sociales, des drames humains et une collectivi­té en mal d’une élémentair­e autosuffis­ance alimentair­e.

Ensemble, et avec tous les atouts dont nous disposons, nous pouvons aller tellement plus loin. Il ne faudrait surtout pas rater le bateau qui passe. […]

Conservons jalousemen­t les éléments pertinents de notre patrimoine mais regardons droit devant. Définisson­s rapidement ensemble ce que nous attendons de l’agroalimen­taire et apprenons à maîtriser le changement.

*Le 12 février marquera le 10e anniversai­re du rapport de la Commission sur l’avenir de l’agricultur­e et de l’agroalimen­taire québécois (CAAAQ), mieux connu sous le nom de rapport Pronovost.

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JEFF BERGEN GETTY IMAGES Une politique agroalimen­taire doit intégrer et maintenir en équilibre tout un éventail d’éléments interrelié­s.

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