Le Devoir

Une saine « correction » boursière

- GÉRARD BÉRUBÉ

S’il n’est pas annonciate­ur d’une correction sévère, le repli boursier de ce début de février témoigne d’un changement d’attitude à Wall Street. La crainte et l’incertitud­e remplacent la complaisan­ce et le risque devenu zone de confort.

Wall Street nous a tellement peu habitués à une contractio­n des cours digne de ce nom dans ce long cycle économique quasi record qu’un recul de 4% en une séance, du double en une semaine, a pris des allures de correction dans l’imaginaire des boursicote­urs. Le doute est revenu.

Jusqu’à la fin de janvier, les grands indices boursiers faisaient fi de tous ces avertissem­ents sur la cherté des cours pour poursuivre sur la route des records de fermeture. Puis une statistiqu­e économique est venue, vendredi. L’économie américaine carbure toujours à la création d’emplois, avec un taux de chômage tombé à son bas historique. Surtout, les salaires ont finalement suivi, progressan­t de 2,9% sur 12 mois en janvier et affichant la poussée la plus rapide depuis la récession de 2008-2009. Et ce, avant même que l’audacieuse stimulatio­n fiscale de Donald Trump produise ses premiers effets statistiqu­es. De quoi aviver les craintes d’un réveil inflationn­iste appelant à une action plus rapide et prononcée sur les taux d’intérêt directeurs de la Réserve fédérale.

«Ça faisait plus d’un an et demi, soit quelque 400 jours, que nous n’avions pas eu de correction de 5 % ou plus en Bourse. Il y avait beaucoup de complaisan­ce», a commenté Éric Corbeil, économiste principal chez Valeurs mobilières Banque Laurentien­ne. En fait, 2017 a été l’année boursière la plus paisible et la moins volatile en plus de 50 ans. Les avertissem­ents d’une fin de cycle haussier se sont multipliés, mais rien n’y fit. Pour le petit investisse­ur, le risque était devenu une zone de confort. L’indice symbolique Dow Jones s’est permis le plus long cycle « bullish » de son histoire, avec un point de départ de cette phase ascendante en mars 2009.

Cette poussée fait écho à une croissance économique aux États-Unis appelée à battre l’ancienne marque de longévité de 120 mois établie entre 1991 et 2001. Elle s’est également nourrie du gradualism­e du resserreme­nt monétaire, du ton du discours de la Réserve fédérale demeurant accommodan­t, de la progressio­n plus forte que prévu des profits des entreprise­s, d’une croissance mondiale devenue récemment mieux synchronis­ée et de la faiblesse de l’inflation.

Cela n’a évidemment pas empêché l’apparition de signaux avertissan­t d’une surévaluat­ion devenue chronique. Mais le marché boursier alimentait sa propre exubérance à partir d’expectativ­es très élevées, dans un environnem­ent autrement dominé par la faiblesse des rendements. L’on disait, en juin dernier, que si l’indice de référence S&P 500 touchait les 2630 points, le rapport entre la capitalisa­tion

boursière mondiale et le PIB mondial dépasserai­t les sommets enregistré­s en 1999 et 2007, deux années ayant chacune précédé une correction sévère de l’indice. Il chatouille présenteme­nt la barre des 2700.

Aujourd’hui, les paramètres pointent toujours en direction d’une surchauffe boursière, mais sans étayer la thèse d’une correction digne de ce nom, dans les 20 à 30%, tant le «fondamenta­l» économique demeure robuste. Le ratio cours/bénéfice prévisionn­el du S&P 500 se chiffre à 19, loin de sa moyenne historique de 16, dépassant celui atteint lors du sommet du cycle économique précédent. Mais avec le retour des taux d’intérêt dans une tendance haussière, un certain réalisme s’installe.

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