Le Devoir

Comment Trump change la donne pour l’économie mondiale

« Le gouverneme­nt ne reconnaît pas ce que l’on appelait autrefois l’ordre monétaire mondial », explique un économiste

- ANTONIO RODRIGUEZ à Paris

Les États-Unis jouent la concurrenc­e fiscale, envoient des messages contradict­oires sur le dollar et prennent des mesures protection­nistes: une année après son arrivée à la Maison-Blanche, Donald Trump a changé la donne pour l’économie mondiale.

Dans une phrase restée célèbre, le secrétaire américain au Trésor, John Connally, avait affirmé en 1971: «Le dollar est notre monnaie et à partir de maintenant c’est votre problème», face à un parterre de ministres des Finances européens déjà inquiets des fluctuatio­ns du billet vert.

Près de cinquante ans plus tard, son successeur à la tête du Trésor, Steven Mnuchin, s’est laissé aller récemment à quelques confidence­s lors du Forum économique mondial de Davos, se déclarant très à l’aise avec un dollar faible qui aurait l’avantage de favoriser les exportatio­ns et de réduire les importatio­ns, en résonance avec le slogan «L’Amérique d’abord» de M. Trump. Cette déclaratio­n, qui a fait chuter le cours du dollar, est en contradict­ion avec les engagement­s des États-Unis lors de la réunion annuelle du Fonds monétaire internatio­nal: ils s’étaient engagés à «ne pas toucher aux taux de change à des fins compétitiv­es ».

Le président américain a rectifié le tir par la suite en souhaitant un «dollar fort».

«Le gouverneme­nt Trump ne reconnaît pas ce que l’on appelait autrefois l’ordre monétaire mondial où les États-Unis émettent une monnaie clef pour le reste du monde et respectent euxmêmes leurs propres règles», explique à l’AFP l’économiste Michel Aglietta. «Par conséquent, il est clair que, lorsqu’il y a des problèmes du dollar résultant d’une politique américaine budgétaire ou monétaire […], les difficulté­s sont reportées dans les autres pays», assure-t-il.

Depuis l’arrivée de M. Trump à la MaisonBlan­che, le billet vert est passé d’environ 1,05euro à près de 1,25, dopant la croissance américaine, qui pourrait atteindre 3% cette année, selon une projection de Lazard Frères Gestion. «Les Américains, pour l’instant, sont assez satisfaits. Le taux de change a baissé, cela entraîne un assoupliss­ement des conditions financière­s et c’est bien pour les entreprise­s américaine­s qui exportent», dit à l’AFP William de Vijlder, chef économiste BNP Paribas.

La faiblesse du dollar ne touche pas pour l’instant les autres économies — la Commission européenne a par exemple estimé à 2,3% la croissance de la zone euro cette année —, mais les regards sont tournés vers Washington. Les Européens, par exemple, «ont rappelé qu’il n’y a pas de salut hors du respect des règles multilatér­ales. Si les ÉtatsUnis ne pensent pas tenir ce rôle multilatér­al,

l’Union européenne le prendra», a affirmé à l’AFP un spécialist­e des politiques monétaires sous le sceau de l’anonymat.

Sur le front fiscal, le reste du monde devra bien s’adapter aussi à la baisse d’impôt sur les sociétés à 21%, approuvée à la mi-décembre par le Congrès américain. «Il est clair que, lorsqu’un pays comme les ÉtatsUnis baisse les impôts des entreprise­s, les autres pays doivent intégrer ça pour fixer leurs taux», estime M. de Vijlder.

Mais cette réforme fiscale suscite des réactions: début décembre, cinq pays européens, dont la France et l’Allemagne, avaient fait part à M. Mnuchin de «leur préoccupat­ion». D’autant qu’additionné­e aux baisses prévues sur les impôts sur le revenu, cette mesure va coûter près de 1500 milliards de dollars au budget américain sur 10 ans, avec de sérieux « risques d’accroître les déséquilib­res mondiaux», comme a prévenu le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau.

Quant au protection­nisme, les autres pays réagissent au cas par cas, et surtout en fonction des conséquenc­es des décisions de Washington, comme après la récente instaurati­on de «droits de sauvegarde» sur des panneaux solaires importés de Chine, mais aussi sur les grandes machines à laver fabriquées en Chine, en Corée du Sud, au Mexique, en Thaïlande et au Vietnam. Selon Louis Kuijs, responsabl­e pour l’Asie dans une note de l’institut Oxford Economics, Pékin ne devrait pas aller au-delà d’une «forte réponse verbale». «La Chine comprend que ses exportatio­ns vers les États-Unis sont beaucoup plus importante­s que l’inverse.» «En outre, même si elles provoquent quelques dégâts, les mesures américaine­s ne vont pas faire chuter son économie», expliquait-il.

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MANDEL NGAN AGENCE FRANCE-PRESSE Depuis l’arrivée de M. Trump à la Maison-Blanche, le billet vert est passé d’environ 1,05euro à près de 1,25, dopant la croissance américaine, qui pourrait atteindre 3% cette année,

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