Le Devoir

Bombardier rate le train

La perte du contrat de la Caisse de dépôt crée de l’inquiétude pour l’avenir de l’usine de La Pocatière

- FRANÇOIS DESJARDINS JEANNE CORRIVEAU

Six mois après avoir été écartée d’un contrat new-yorkais dont le potentiel était estimé à 3,2 milliards $US, Bombardier voit un autre projet de transport, en territoire un peu plus connu celui-là, lui filer entre les doigts.

La Caisse de dépôt et placement du Québec a annoncé jeudi que le contrat des voitures du Réseau express métropolit­ain (REM) avait été remporté par Alstom Transport Canada et SNC-Lavalin, échappant ainsi à Bombardier Transport Canada, qui était en lice.

L’exclusion du constructe­ur montréalai­s du projet de 6,3 milliards a immédiatem­ent soulevé plusieurs questions sur l’avenir de l’usine de La Pocatière, actuelleme­nt occupée à assembler les trains Azur pour le métro de Montréal.

La situation a d’ailleurs incité le premier ministre Philippe Couillard à se faire rassurant à l’égard de l’avenir de l’établissem­ent, qui a produit plus de 6000 voitures de train et de métro depuis le milieu des années 1970 et compte plus ou moins 600 employés.

«Il y a des activités encore pour un bon moment à La Pocatière. Il y aura des agrandisse­ments de métro. De nouvelles lignes de différente­s couleurs qui vont voir le jour à Montréal», a dit M. Couillard lors d’une conférence de presse en compagnie de la mairesse de Montréal, Valérie Plante, du président de la Caisse, Michael Sabia, et du ministre fédéral des Transports, Marc Garneau.

L’entente de gré à gré conclue en 2010 avec le consortium Bombardier-Alstom pour les voitures du métro de Montréal s’appliquera aussi pour le matériel roulant requis pour le prolongeme­nt de la ligne bleue et pour la ligne rose si celle-ci se réalise, a assuré M. Couillard.

«Mais comme contribuab­le québécois, on a avantage à avoir des processus compétitif­s les plus larges possible. C’est l’approche qu’a choisie avec justesse M. Sabia», a dit le premier ministre.

Le coût estimé du projet a été revu à la hausse, à 6,3 milliards

Car en excluant Bombardier, le processus se trouve ainsi à écarter une compagnie dans laquelle la Caisse a elle-même investi de façon importante en 2015, à une époque où la division aéronautiq­ue de Bombardier souffrait du poids de son programme d’avions C Series. La Caisse avait alors décidé d’investir 1,5 milliard $US dans la division transport, celle qui génère habituelle­ment des profits.

Selon M. Sabia, la Caisse gère le projet, mais elle est également un investisse­ur. « Notre équipe a fait le choix pour livrer l’objectif fondamenta­l de ce processus, soit le meilleur projet au meilleur prix», a-t-il dit. Et le REM comptera 65 % de contenu québécois, a-t-il répété.

Des inquiétude­s

Il a été impossible de joindre le président du syndicat des employés de La Pocatière, Mario Guignard. Mais celui-ci a affirmé en entrevue à RadioCanad­a que l’usine risque de vivre des «pertes d’emplois», car l’obtention du contrat aurait pu consolider ses assises « à long terme ».

Bombardier a dit avoir soumis une «offre très concurrent­ielle pour répondre aux besoins de mobilité » de la région montréalai­se. « Nous comprenons et nous partageons la déception de nos employés. »

«À partir d’aujourd’hui, le carnet de commandes de La Pocatière porte sur 12 mois, jusqu’en 2019, mais après ça, c’est zéro», a dit un porte-parole de Bombardier Transport, Éric Prud’homme. M. Couillard a mentionné quelques projets connus du public, a-t-il ajouté. Pour assurer la continuité fluide des activités de l’usine, « à un moment donné, ça va prendre un signal clair », a dit M. Prud’homme.

L’entreprise a quand même décroché d’importants contrats en 2017, notamment en Asie, à Londres et pour le RER à Paris. À la fin septembre 2017, le carnet de commandes de Bombardier Transport se situait à 33 milliards $US.

À la Bourse de Toronto, l’action de Bombardier, qui tiendra une conférence téléphoniq­ue le 15 février pour discuter de ses états financiers trimestrie­ls, a reculé de 2% à 3,20$. Celle de SNC a perdu 0,5 % à 52,39 $.

Lorsque Bombardier n’a pas été retenue pour le contrat potentiel de 3,2 milliards à New York, Le Journal de Montréal a publié le jour même une note interne au langage dur. Le président de Bombardier Transport, Benoit Brossoit, affirmait: «Notre mauvaise performanc­e et les retards importants […] sur le projet des voitures R-179 ont scellé le sort de notre offre [...] la décision de notre client démontre que le marché n’est plus disposé à accepter des retards dans la performanc­e et à subir l’impact de nos manquement­s. »

Des offres « inacceptab­les »

SNC-Lavalin a été gagnante dans les deux volets du projet du REM puisque c’est le consortium dont elle fait partie qui a obtenu l’autre contrat, celui des travaux d’ingénierie et de constructi­on des infrastruc­tures. Outre SNC-Lavalin, le consortium Groupe NouvLR regroupe Dragados Canada, Groupe Aecon Québec, Pomerleau et EBC.

C’est d’ailleurs le volet ingénierie et constructi­on qui a entraîné une hausse des coûts du projet et des délais supplément­aires, puisque le REM accueiller­a ses premiers passagers à l’été 2021, et non en 2020 comme prévu.

Michael Sabia a indiqué que les soumission­s reçues l’automne dernier pour ce volet étaient «inacceptab­les». CDPQ Infra a donc pris une pause pour engager des discussion­s avec les consortium­s. Cet exercice a notamment permis de réduire les coûts d’exploitati­on du REM, mais la facture globale du projet a augmenté, passant de 6,04 à 6,3 milliards, a-t-il dit sans vouloir divulguer la valeur des contrats octroyés.

«Il n’y a aucun impact sur nos partenaire­s, leurs investisse­ments et sur les tarifs des usagers. Selon nous, ce processus est un succès», a ajouté M. Sabia.

La contributi­on de Québec au projet et celle d’Ottawa demeureron­t les mêmes, soit de 1,28 milliard de dollars chacune. Celle d’Hydro-Québec sera de 295 millions. De son côté, l’Autorité régionale de transport métropolit­ain versera 512 millions. La part de CDPQ Infra sera toutefois en hausse, passant de 2,67 à 2,95 milliards. Michael Sabia a évoqué un rendement attendu de 8 à 9 % pour la Caisse.

Le projet du REM devrait créer 34 000 emplois pendant sa constructi­on et 1000 autres qui seront permanents par la suite.

La Caisse entend lancer les travaux au mois d’avril et les rames seront prêtes en 2020. Le projet sera réalisé en plusieurs phases. Une première antenne entrera en service à l’été 2021 et les autres parties du réseau seront réalisées selon une séquence qui reste à déterminer. CDPQ Infra n’a pas été en mesure de dire quand l’ensemble du projet serait achevé.

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, et le numéro un de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Michael Sabia
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, et le numéro un de la Caisse de dépôt et placement du Québec, Michael Sabia

Newspapers in French

Newspapers from Canada