De la paix et des Jeux
«Jeux de la paix» ou jeu de dupes? Le dialogue qui se dessine entre les deux Corées n’est pas sans promesses — cela dit sans naïveté. Mais comment concrétiser une détente qui risque à tout moment de se défaire?
L’année 2017 aura donné lieu à un essai nucléaire et à quatre essais de missiles balistiques intercontinentaux de la part de la Corée du Nord, sur fond de renforcement tous azimuts des sanctions internationales et d’une délirante escalade verbale entre Kim Jong-un et Donald Trump. Provocateur, certes, mais pas étonnant, donc, que l’impénitent régime nordcoréen ait voulu tenir jeudi, à 24 heures de l’ouverture des Jeux olympiques de Pyeongchang, un défilé militaire ostentatoire comme M. Trump les aime apparemment et dont Kim Jong-un a déclaré qu’il faisait « la démonstration devant la planète de notre statut de puissance militaire de classe mondiale » — réaffirmant en cela que la dénucléarisation de la Corée du Nord était inenvisageable.
Ce n’est pas peu dire que le rapprochement intercoréen qui a pris forme à la faveur des JO qui s’ouvrent vendredi est incertain, sinon même boiteux. Mais il donne tout de même lieu à un effort de «diplomatie sportive» plus porteur que lors des Jeux olympiques d’été de Séoul en 1988, des Jeux qui avaient été précédés d’un attentat contre un avion de la Korean Airlines et d’une réaction intraitable depuis Pyongyang à l’offre de participation aux compétitions.
Jeu de dupes de la part de Kim Jong-un ou volonté réelle de détente? Un savant dosage des deux. Dans son bras de fer avec la Maison-Blanche, le dictateur n’est pas suicidaire au point de ne pas comprendre qu’il est dans l’intérêt de Pyongyang de faire baisser les tensions militaires. Du moins peut-on l’espérer. Entendu que Kim Jong-un s’est montré jusqu’à maintenant fort peu intimidable, mais il serait exagéré de prétendre que les pressions induites par la panoplie de sanctions dont son régime écope n’ont aucune incidence sur les calculs géopolitiques de Pyongyang, d’autant que l’allié chinois est devenu depuis quelques mois un peu moins complaisant à son égard. C’est suivant cette logique unidimensionnelle que le vice-président Mike Pence a affirmé mercredi que les États-Unis s’apprêtaient à imposer les sanctions «les plus dures» jamais prises contre Pyongyang.
L’occasion était en l’occurrence trop belle pour le dictateur de souffler du chaud sur le froid en se rendant disponible aux appels lancés par le président sud-coréen Moon Jae-in, depuis son arrivée au pouvoir en mai dernier, à la relance du dialogue intercoréen qui était au point mort depuis 2007. La stratégie étant, pour Kim Jong-un, d’affaiblir le front commun que forme Séoul avec Washington et Tokyo en tentant d’y ouvrir une brèche.
Il ne faut pas pour autant sous-estimer le désir de réconciliation, de part et d’autre, d’un peuple déchiré depuis 70 ans.
Ce fragile réchauffement place le président sud-coréen dans une situation délicate. D’abord sur le plan géostratégique, vu ses alliances. Ensuite sur le plan intérieur, où la presse de droite vocifère que Moon Jae-in a fait trop de concessions (la formation d’une équipe unifiée de hockey féminin a beaucoup choqué). S’il y a fossé politique, le débat révèle du reste un fossé générationnel: la réunification n’est tout simplement pas un idéal pour la jeunesse sud-coréenne qui, aux prises avec le chômage et la précarité, en redoute l’impact économique. Une jeunesse qui, de fait, n’a jamais connu qu’une péninsule séparée. D’où le plaidoyer du président, non pas pour une illusoire réunification politique, mais pour le développement de collaborations.
Où mèneront ces efforts de détente? Survivront-ils à la trêve olympique? Ils servent au moins à rappeler que les Coréens sont les premiers concernés.