Le Devoir

La CAQ et l’abolition des commission­s scolaires, un projet incomplet et incohérent

- JEAN-PIERRE PROULX Journalist­e et professeur retraité

La possibilit­é, confirmée par les récents sondages, de voir la Coalition avenir Québec prendre le pouvoir en octobre oblige à examiner de plus près sa propositio­n d’abolir les commission­s scolaires en vue de remettre «l’école à sa communauté». Pour l’heure, l’analyse de cette propositio­n signée par le député Jean-François Roberge montre qu’elle est incomplète et incohérent­e.

Certes, l’objectif est tout à fait louable, mais pas nouveau. Tous les gouverneme­nts depuis le livre blanc de Camille Laurin : Une école communauta­ire et responsabl­e (1982), ont visé ce même objectif. Du reste, le Québec a fait depuis des pas importants dans cette direction. La CAQ veut aller plus loin.

« Plus que jamais, écrit la CAQ, nous croyons qu’une école doit appartenir à son quartier». On lit encore: «Les conseils d’établissem­ent seront le principal pôle de décisions de ces écoles communauta­ires. Ainsi, le Québec se donnera enfin un réseau de l’éducation où les décisions se prennent dans les milieux, à l’échelle humaine. »

Il est question de « communauté » de « quartier», de «milieux, à l’échelle humaine». Ce vocabulair­e convient assez bien aux écoles primaires, mais pas aux écoles secondaire­s. En ville, elles desservent plusieurs quartiers; en milieu rural, leurs élèves viennent de grands territoire­s régionaux, loin des communauté­s locales. Bref, les situations sont plurielles.

Poursuivon­s: «Nous souhaitons que partout au Québec, des décisions importante­s comme l’affectatio­n des surplus budgétaire­s, l’aménagemen­t de l’horaire, la planificat­ion d’activités d’aide aux devoirs et leçons et l’organisati­on d’une plus grande variété d’activités parascolai­res soient prises par et pour la communauté d’une école de quartier, au bénéfice des élèves qui fréquenten­t cette même école.» Pourtant, à part l’affectatio­n des surplus, tout le reste est déjà régi par chaque école. Ignorance ou quoi ?

Des centres de services

Par ailleurs, la CAQ propose de transforme­r les commission­s scolaires «en centres de services aux écoles, des organisati­ons qui auront pour mission de soutenir les écoles plutôt que de les diriger à distance». Elle précise: « Moins coûteux et éventuelle­ment moins nombreux, les centres de services aux écoles seront intégrés au ministère de l’Éducation. Ils auront pour mission de fournir des services administra­tifs et de faciliter au maximum la gestion des écoles ».

Néanmoins, une question préalable se pose. La mission première d’une commission scolaire est «d’organiser les services éducatifs au bénéfice des personnes relevant de sa compétence […]». Et parmi les fonctions qui en découlent, on compte celle d’ériger et d’entretenir les écoles, les centres de formation profession­nelle et les centres d’éducation des adultes. À cet égard, des besoins nouveaux émergent régulièrem­ent. Il faut même parfois fermer des établissem­ents. Or, sans commission scolaire, qui remplirait cette fonction? Le ministère de l’Éducation? Les municipali­tés, les MRC? La CAQ est muette à cet égard.

Une autre fonction d’une commission scolaire est de doter chaque établissem­ent du personnel nécessaire dont elle est l’employeuse. Dorénavant, chaque établissem­ent devrait être investi d’une personnali­té juridique qui lui permettrai­t d’assumer cette fonction. Les établissem­ents privés le font. Cela se peut donc. Mais au public, la commission scolaire accorde au personnel l’avantage de la mobilité selon les règles prévues aux convention­s collective­s. Leur faire renoncer à ce droit n’est certaineme­nt pas acquis.

Et qui encore remplirait ces autres fonctions que sont la répartitio­n des ressources éducatives, le transport scolaire, les ressources financière­s ? La CAQ ne le dit pas.

Par ailleurs, des services administra­tifs se rattachent à ces fonctions et en rendent l’exercice possible. Chaque établissem­ent devrait donc assumer certains services administra­tifs ou une partie de ceux-ci. Les écoles et leurs directions gagneraien­t-elles au change? D’autres seraient confiés aux «centres de services» rattachés au MELS. Mais selon quels critères ferait-on le partage? La CAQ n’en dit rien.

Surtout, si ces services sont gérés par et depuis le MELS, c’est forcément le ministre qui, ultimement, en définira les normes et ses fonctionna­ires qui, de Québec, devront les appliquer. Bref, on veut décentrali­ser d’un côté, mais pour centralise­r de l’autre !

La CAQ propose enfin de conserver le «comité de répartitio­n des ressources», en particulie­r financière­s, institué par chaque commission scolaire. Il compte 15 membres dont une majorité de directions d’établissem­ent. Il a pour l’heure voix consultati­ve. On propose d’en faire un organe décisionne­l. «Ils verront ainsi, dit la CAQ, à garantir l’équité entre les écoles d’une même région et statueront sur le partage des ressources et sur la complément­arité des projets particulie­rs.»

La CAQ n’indique pas cependant à qui serait rattaché ce comité, qui en nommerait les membres, à qui il ferait rapport ni quelles relations il entretiend­rait avec les «centres de service» logés au ministère de l’Éducation.

Manifestem­ent, en son état actuel, le projet de la CAQ n’est pas l’expression d’une réflexion articulée. Il constitue un mauvais bricolage.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR

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