François, Hugo… et les autres
Prendre la pose et faire une pause pour célébrer sa complicité avec une amie cinéaste
CERTAINS DE MES AMIS ★★★ Documentaire de Catherine Martin. Québec, 2017, 115 minutes. Cinémathèque québécoise, La Maison du cinéma, Cartier
L’ascétisme accompagne Catherine Martin, peu importe qu’elle signe des fictions (Nuits d’Afrique, Dans les villes, Une jeune fille) ou des documentaires (Océan, Les dames du 9e). La musique s’y fait discrète, voire minimaliste, et plutôt qu’une caméra virevoltante, elle préfère poser la sienne sur un trépied: pour regarder, embrasser le paysage, saisir les nuances de la lumière du jour.
Les visages sont justement paysages dans Certains de mes amis, une apologie jamais tapageuse de quelques personnes importantes de son entourage, des gens au profil diversifié; certains parlent avec éloquence de ce qu’ils font dans la vie, d’autres ne disent presque rien, ou préfèrent pratiquer leur art sans avoir à l’expliquer.
Ce parti pris du dépouillement s’affirme avec radicalité dès le tout premier segment consacré au peintre François Vincent (les noms de famille ne seront divulgués qu’au générique de fin). Comme tous les autres à sa suite, il prendra la pose devant la caméra sans dire un mot, et se remettra au travail dans un silence monastique. Ce n’est qu’au bout d’une bonne dizaine de minutes qu’il prononcera ses premières paroles, ayant laissé ses pinceaux, ses tubes de couleurs et ses dessins causer à sa place. Les autres amis de la cinéaste seront beaucoup plus bavards, sans pour autant se répandre en longs discours ou en explications vaseuses, comprenant la démarche pointilliste de celle qui partage leur trajectoire de vie.
De quelle manière et à quelle fréquence? Aucun ne s’aventure sur ce territoire personnel, même si chacun ouvre la porte de son intimité, en soi une preuve de cette confiance solidifiée au fil des années. Certains préfèrent exposer leur profonde dévotion à l’égard de leur métier, et personne ne le fait avec autant d’enthousiasme que Marie Dumont, chercheuse explorant les rythmes circadiens, les mystères du sommeil, surtout ceux chez les travailleurs de nuit. Il faut aussi voir, et entendre, l’émotion qui l’étreint devant une magnifique lampe de chevet (composée de livres et de citations, dont une de Nietzsche), cadeau d’une doctorante en remerciement pour son accompagnement professoral.
La passion pour l’art constitue un des fils de cette succession de morceaux choisis, saisis sans artifices. On découvre les magnifiques marionnettes de Louise Lapointe fabriquées avec ses étudiants du Conservatoire d’art dramatique de Montréal, ou les photographies humanistes de Gabor Szilasi, un personnage que Catherine Martin a déjà observé (L’esprit des lieux), racontant les circonstances émouvantes autour du portrait d’un couple au soir de sa vie.
Le minimalisme biographique empêche parfois de saisir la richesse des liens qui unissent la cinéaste à ses sujets. Le dernier ami convié, mais non le moindre, Hugo Brochu, se dévoile dans toute sa fragilité (après un AVC qui l’a rendu aphasique), mais on aurait aimé en savoir plus sur son rapport au cinéma (il est concepteur sonore) et celui de son amie (il a collaboré à quelques films de Martin).
On reproche beaucoup la tentation du reportage chez bon nombre de documentaristes. La cinéaste s’inscrit à contre-courant de cette tendance, mais nous laisse parfois en retrait de son beau cercle d’amis.