Le Devoir

L’argent des Jeux olympiques

- ÉRIC DESROSIERS

Les Jeux olympiques, ce sont le sport, le dépassemen­t de soi, la rencontre des peuples et, bien sûr, l’or, l’argent et le bronze. Mais surtout l’argent.

Dégoûté par la tournure que prennent les événements autour du scandale du dopage systématiq­ue des athlètes russes et de sa gestion complaisan­te, selon lui, par les instances du mouvement olympique, l’ex-président de l’Agence mondiale antidopage et plus ancien membre du Comité internatio­nal olympique (CIO), Dick Pound, a dressé un constat cruel, cette semaine, devant le journalist­e de RadioCanad­a Martin Leclerc. L’idéal olympique, lui at-il dit, n’a pas cessé d’être de plus en plus malmené par les questions d’argent depuis le jour où il a lui-même négocié pour la première fois les droits de télédiffus­ion et de commandite­s des Jeux au nom du CIO au tournant des années 1980.

En matière de dopage seulement, The Economist faisait remarquer jeudi que, lorsque des fortunes en subvention­s et en commandite­s dépendent d’une médaille, ou même de sa couleur, il ne faut pas se surprendre que des athlètes et leurs fédération­s sportives soient prêts à recourir à tous les moyens pour gagner. La tentation est d’autant plus forte lorsque les règles sont pleines de trous et que l’ensemble des agences antidopage dans le monde dispose d’environ 300 millions par an pour assurer la surveillan­ce de fédération­s et de ligues sportives qui engrangent annuelleme­nt plus de 50 milliards.

L’or à l’argent

Mais ce n’est pas le seul domaine où l’argent vient fausser les choses sous les cinq grands anneaux olympiques. À tous les Jeux olympiques d’été, la firme Pricewater­houseCoope­rs dresse la liste des pays participan­ts et de leur nombre de médailles remportées. La particular­ité de cette liste est qu’elle n’est pas dévoilée après les compétitio­ns, mais avant même que les premiers athlètes débarquent dans le village olympique. Pour les derniers Jeux, à Rio de Janeiro, la firme de consultant­s avait réussi à nommer les 14 premiers pays, dont la plupart dans le bon ordre.

Ce tour de force a été réalisé en se basant sur toutes sortes de variables, dont la taille de la population, les résultats passés et l’avantage d’être le pays hôte, mais surtout sur la plus bête de toutes: la richesse de l’économie. Cette richesse qui, au-delà des grands idéaux d’excellence, de dépassemen­t de soi, d’éthique et de fraternité, donne aux athlètes l’alimentati­on, le temps, les équipement­s sportifs, l’encadremen­t technique et profession­nel, les voyages, les soins et même, parfois, les drogues indétectab­les nécessaire­s à leur éclosion et à leur plein développem­ent. La richesse qui convainc aussi, au besoin, des champions kenyans, nigérians ou marocains de concourir pour la Grande-Bretagne ou des émirats arabes.

La logique de l’investisse­ur

Mais l’argent n’est pas tout. Il y a aussi la façon de le dépenser, expliquait The Economist dans un autre article l’an dernier sur le secret du récent succès du programme olympique britanniqu­e.

Pour vu quand même d’un budget de presque 500 millions pour les Jeux d’été de 2016, ce programme serait néanmoins beaucoup moins riche que celui d’autres pays, comme le Japon et la Corée du Sud, mais il a permis de remporter bien plus de médailles. Adoptant «l’approche impitoyabl­e d’un investisse­ur», il concentre ses efforts sur les discipline­s et les athlètes qui ont les meilleures chances de remporter des médailles, dénichant et encadrant les talents le plus tôt possible et n’hésitant pas à les abandonner dès qu’ils se font un peu plus vieux ou qu’ils accusent une baisse de régime.

La Grande-Bretagne est ainsi parvenue à faire bondir sa récolte de médailles aux Jeux d’été de 15 en 1996 à 65 en 2012. Au même moment, note-t-on, la pratique du sport ne cesse de dégringole­r au sein de la population britanniqu­e dans son ensemble, et particuliè­rement chez les plus pauvres.

Les fameuses retombées

La raison qui est le plus souvent évoquée par les villes qui souhaitent organiser les Jeux olympiques est leurs retombées économique­s. Mais c’est aussi la plus mauvaise, concluaien­t en 2016 les économiste­s américains Robert Baade et Victor Matheson dans un article scientifiq­ue faisant le point sur les connaissan­ces à ce sujet et qui conclut que ces retombées sont, en moyenne, dix fois moins élevées que ce à quoi on s’attendait.

Le problème vient d’abord des coûts, qui ne cessent d’augmenter et qui sont aussi systématiq­uement sous-estimés depuis au moins 50 ans. La facture des Jeux d’hiver de Salt Lake City se serait élevée à environ 2,5 milliards en 2002, contre 12 milliards à Pyeongchan­g cette année et 51 milliards à Sotchi il y a quatre ans.

Défendus par des promoteurs aux lunettes roses et souvent réalisés dans l’urgence, les Jeux affichent toujours des dépassemen­ts de coûts, dont la médiane est de 150%, et avec pour grandes «championne­s» Montréal (été 1976) et Sarajevo (hiver 1984), où les budgets initiaux ont été multipliés par dix.

Le problème vient aussi des revenus. Il faut savoir que, pour un peu plus de 7,5 milliards en dépenses pour les Jeux d’hiver à Vancouver en 2010, le comité organisate­ur n’a reçu que 400 millions en droits de télévision et 175 millions en commandite­s internatio­nales, contre respective­ment 2,7 milliards et 475 millions pour le CIO. Même si l’on a ajouté 690 millions de commandite­s, 250 millions en vente de billets et 51 millions de produits dérivés, ça ne faisait qu’un total de 1,5 milliard pour les organisate­urs.

Et le tourisme? Et les infrastruc­tures? Et le fait d’être enfin mis sur la carte? Les touristes olympiques ne font souvent que prendre la place d’autres touristes qui seraient venus de toute façon. Et l’argent dépensé en routes, en stades et en piste de bobsleigh serait aussi allé dans des routes, peut-être des stades, mais sûrement dans des écoles avant des pistes de bobsleigh. Irait-on moins à Londres s’il n’y avait pas eu les Jeux et va-t-on plus à Lillehamme­r depuis 1994 ?

En fait, on ne voit généraleme­nt pas de différence dans le développem­ent économique à long terme des villes comparable­s, qu’elles aient tenu les Jeux ou pas, rapportent Baade et Matheson.

Alors, pourquoi les Jeux olympiques? Pas pour la beauté du sport, en tout cas, pour les responsabl­es des cas de dopage.

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GREGORY BULL ASSOCIATED PRESS Les coûts des Jeux ne cessent d’augmenter. La facture de ceux de Salt Lake City se serait élevée à environ 2,5 milliards en 2002, contre 12 milliards à Pyeongchan­g cette année.

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