Le Devoir

Coiteux maintient le cap malgré tout

- MARIE-MICHÈLE SIOUI Correspond­ante parlementa­ire à Québec

Le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, n’a nullement l’intention de modifier son projet de loi donnant plus de pouvoir à l’Unité permanente anticorrup­tion (UPAC), pas plus qu’il ne se formalise des échanges amicaux réguliers entre le grand patron de police Martin Prud’homme et le député libéral Guy Ouellette.

Pourtant, ces échanges — qui sont détaillés dans le mandat de perquisiti­on ayant permis la fouille du domicile de Guy Ouellette, le jour de son arrestatio­n — «soulève[nt] des questions sérieuses» au sujet de la séparation des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire, estime Martine Valois, professeur­e de droit à l’Université de Montréal.

«La police relève du pouvoir exécutif, mais elle est indépendan­te de ce pouvoir quand elle mène des enquêtes criminelle­s», a rappelé la professeur­e jeudi, lors d’un entretien avec Le

Devoir. « Alors, quand un député membre du gouverneme­nt discute avec le chef de la SQ ou avec d’autres policiers au sujet d’enquêtes criminelle­s, ça pose problème. »

Martine Valois, qui est également membre du Comité de suivi des recommanda­tions de la commission Charbonnea­u, est l’«avocate émérite» dont l’expertise a auparavant été citée par le ministre Coiteux et le premier ministre Philippe Couillard pour défendre le mode de nomination du commissair­e de l’UPAC.

Jeudi, elle s’est montrée très critique de la proximité entre Guy Ouellette et Martin Prud’homme, un puissant chef policier impliqué dans des enquêtes visant le Parti libéral. Selon elle, M. Ouellette interprète trop largement les mandats qui lui sont confiés. «La fonction d’un député n’est pas de se transforme­r en enquêteur et de prendre sur lui d’aller faire sa

propre enquête sur les sujets qui l’intéressen­t, a-t-elle soutenu. Même les policiers ne font pas d’enquête sur ce qu’ils veulent. »

Le travail passé de Guy Ouellette à la Commission des institutio­ns ne peut pas justifier d’aller recueillir des informatio­ns dans le plus grand secret, a-telle dit. «Un juge ne discute pas d’une cause en l’absence d’une des deux parties. C’est la même chose en commission parlementa­ire: les gens qui viennent témoigner le font au vu et au su de tous, la preuve est recueillie en toute transparen­ce », a-t-elle souligné.

Mme Valois a aussi remarqué que MM. Prud’homme et Ouellette « s’autorisent à se parler parce qu’ils se connaissen­t depuis longtemps [depuis 1992, quand ils étaient tous deux à la SQ]». «Mais ce faisant, ils ne reconnaiss­ent pas qu’il y a une séparation des pouvoirs, qu’ils ont chacun un rôle [différent] et qu’on ne peut pas impunément faire ce qu’on veut », a-t-elle rappelé.

Martin Coiteux indifféren­t

Le ministre Coiteux a été moins exigeant. Dans un point de presse où il a néanmoins déclaré qu’il valait mieux que le gouverneme­nt ne se mêle pas des enquêtes, il a assuré qu’il ne voyait pas de problème à ce que Guy Ouellette ait des contacts réguliers avec Martin Prud’homme — notamment lors «d’événements médiatisés», comme l’a précisé ce dernier. «Des gens qui ont travaillé ensemble à l’intérieur d’un corps policier comme la Sûreté du Québec, c’est un petit peu normal qu’il se soit créé des liens», a déclaré le ministre. «Ça ne veut pas dire que les gens ne peuvent pas se comporter de la bonne façon pour s’assurer de la qualité de leur travail et, en particulie­r, de l’intégrité de l’ensemble des enquêtes. C’est ça qui est important. Mais estce qu’on doit demander aux gens de renoncer aux relations et aux amitiés qu’ils ont tissées à travers toute leur vie ? Bien, non ! » a-t-il lancé.

Quelques instants plus tôt, le ministre Coiteux passait en trombe devant les médias pour se diriger, le pas rapide, vers l’édifice abritant les bureaux du premier ministre. Au Salon bleu, le leader parlementa­ire du gouverneme­nt, JeanMarc Fournier, venait tout juste d’annoncer la suspension des étapes finales du projet de loi 107, qui doit faire de l’UPAC un corps policier indépendan­t. Pourquoi? «On reporte à mardi, il y aura plus de personnes de notre côté, le premier ministre sera là», a répondu le principal intéressé. Rien à voir avec les plus récentes tuiles qui s’abattent sur l’UPAC, a-t-il assuré.

Le Parti québécois a tenté, sans succès, de faire ajourner les travaux sur le projet de loi. « Prenez un moment pour réfléchir [et déterminer] si c’est opportun que le premier projet de loi qui soit adopté en 2018, ce soit le projet de loi 107», a suggéré Pascal Bérubé. «Dans le cas de l’UPAC, ça s’accumule, et on ne pose jamais de questions sur la capacité de l’administra­tion actuelle à gérer davantage de pouvoirs. »

La Coalition avenir Québec s’est dite «troublée» par les plus récentes révélation­s concernant l’UPAC et a demandé des « éclairciss­ements ». «M. Coiteux doit se rendre compte qu’il est le responsabl­e principal de ce cafouillis», a ajouté le député solidaire Amir Khadir, dénonçant le climat de travail «malsain» qui règne à l’UPAC.

De nouveaux indices sur le climat à l’UPAC

Les rumeurs et suppositio­ns sur le climat délétère au sein de l’UPAC se sont multipliée­s au cours des derniers mois. Elles se sont concrétisé­es récemment dans deux rapports rendus publics par le gouverneme­nt, dans les déclaratio­ns d’enquêteurs actuels et passés de l’UPAC devant le tribunal et puis, jeudi, dans les déclaratio­ns d’un chef syndical et le dépôt d’une poursuite que l’exnuméro deux de l’UPAC intente contre le gouverneme­nt.

Le président de l’Associatio­n des policières et policiers provinciau­x du Québec, Pierre Veilleux, a ainsi déclaré que des rencontres avec les policiers de la SQ travaillan­t au sein du Bureau des enquêtes sur la corruption de l’UPAC lui ont permis de conclure que plus de la moitié d’entre eux sont malheureux au point de songer à quitter l’unité «le plus rapidement possible ». « Il y en a qui sont tombés en pleurs [lors des rencontres avec le syndicat]», a-t-il relaté au Devoir. « Quand j’entends les déclaratio­ns, que d’un coup de baguette magique on va régler tous les problèmes, qui sont profondéme­nt ancrés à l’UPAC à cause de la mauvaise gestion, je commence à avoir peur pour l’intégrité de mes membres. C’est impossible que le [projet de loi] 107, en étant adopté demain matin, rende tout le monde content et fasse tout rentrer dans l’ordre. Ça n’a pas de sens!» a-t-il lancé. Une source du milieu policier a été plus directe: «Ce que M. Coiteux dit, que d’en faire un corps policier va créer un sentiment d’appartenan­ce, c’est de la grosse marde. »

Autre tuile : l’ex-numéro deux de l’UPAC Marcel Forget a déposé mercredi une poursuite de deux millions de dollars contre le gouverneme­nt Couillard, auquel il reproche d’avoir manoeuvré en coulisses pour orchestrer son « congédieme­nt public et abusif», le 30 novembre. «M. Forget est le bouc émissaire d’une crise qui perdurait à l’UPAC et au ministère de la Sécurité publique depuis plusieurs mois, le gouverneme­nt ayant choisi de le congédier dans le seul but de sauver les apparences », prétend l’administra­teur déchu, qui a démissionn­é à la suite de révélation­s mettant en cause son éthique.

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JACQUES BOISSINOT LA PRESSE CANADIENNE Le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, ne s’offusque pas des relations que Guy Ouellette et Martin Prud’homme entretienn­ent.
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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Plus de la moitié des policiers de l’UPAC songent à quitter l’unité, dit le président de l’Associatio­n des policières et policiers provinciau­x du Québec.

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