Enfin la paix
Il y avait des questions. À vrai dire, une quantité incommensurable de questions. Ils sont comme ça, les Jeux olympiques: ils forcent l’humanité, pendant deux semaines,
à plonger en elle-même et à se refaire une tête. Après, elle peut oublier ça et poursuivre sa vie.
À l’approche de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques d’hiver de Pyeongchang — parfaitement, d’hiver, vous avez peut-être entendu qu’il fait pas mal froid là-bas, ce qui prouve, selon des sources, que le réchauffement climatique n’est qu’un canular orchestré par des frileux qui essaient de se rendre intéressants —, les interrogations légitimes pullulaient. J’en jasais justement avec un conseiller: crois-tu que la démonstration de missiles cette semaine en Corée du Nord, tu sais la république démocratique populaire qui n’est pas une république, qui n’est pas une démocratie, et pour ce qui est de la popularité, ça dépend à qui on s’adresse, peut être considérée comme un symbole de paix, autant qu’une équipe unifiée de hockey féminin? Quelle distance séparera Mike Pence de la soeur de Kim Jong-un dans la tribune des gens importants, lui fera-t-il un sourire poli, et si oui, sa charmante épouse s’en trouvera-t-elle percluse de jalousie ? Canadien profitera-t-il de l’attention générée par la trêve sa-
crée pour échanger Max Pacioretty?
Oui, Canadien est au coeur des Jeux olympiques, quoi qu’on en dise. Ces jours prochains, vous verrez de ses anciennes gloires comme Brian Gionta et Rene Bourque se faire valoir sur la plus prestigieuse scène du monde. Ça doit faire mal au deuxième étage.
Et qu’en sera-t-il de la Russie au juste ? Pas facile de démêler l’écheveau, avouons. La Russie est suspendue, elle ne sera donc représentée que par pas loin de 200 athlètes, on va mettre un chiffre rond parce que ça change tous les jours et qu’il faut couvrir de près le palais de justice pour arriver à être précis. La Russie ne portera pas ses couleurs mais un petit cercle disant « Athlètes olympiques de » — ils ont finalement défilé vêtus de gris, ce qui donne une idée de l’état d’esprit général — et le Comité international olympique a montré toute l’étendue de sa puissance en privant le public du plus bel hymne national de l’univers connu. Toutefois, toutefois, on pourrait entrapercevoir un drapeau de la Russie à la cérémonie de clôture si ses non-porte-couleurs se comportent comme de bons garçons et de bonnes filles pendant les Jeux. Il y a toujours bien des maudites limites.
On dispose quand même déjà de quelques réponses. En ce qui concerne la paix, c’est réglé, la cérémonie l’évoquant d’un bout à l’autre. Des enfants, des animaux pas méchants pour deux sous, de la K-pop, de la danse, un discours de Thomas Bach sur l’importance de la propreté, vous voulez quoi de plus? En plus, on a vu étrangement peu de téléphones en action dans les délégations au pays de Samsung. Au moment où l’activité de prédilection du bipède consiste à photographier quelqu’un qui photographie quelqu’un en train de se photographier, voilà peut-être un signe qu’il y a de l’espoir.
Par contre, le gars de Tonga qui avait fait sensation à Rio en se présentant torse nu et sérieusement badigeonné d’une quelconque substance onctueuse, Pita Taufatofua, le spécialiste du taekwondo converti en skieur de fond qui a vu de la neige pour la première fois de sa vie avant-hier, est encore arrivé en bedaine. Et ceux des Bermudes étaient en bermudas, ainsi que le nom l’indique. Cette histoire de réchauffement climatique est loin d’être terminée. Restez
des nôtres pour tous les développements.
Selon des données trigonométriques recueillies sous haute surveillance, le Canada remportera 398 médailles d’or à Pyeongchang. «À nous le podium», ce n’est pas une formule vaine. Et pas besoin de faire des trous dans le mur du labo comme à Sotchi pour y parvenir. (Je vous invite d’ailleurs à maintenir une saine distance intellectuelle lorsque vous consulterez le tableau des médailles ces jours prochains. On le sait maintenant, celui-ci a 10 ans pour changer.)
Ce pronostic infaillible signifie que, si les athlètes olympiques de Russie ne pourront entendre leur hymne national, le nôtre bien à nous, lui, ne se gênera pas pour se hisser au sommet du palmarès Billboard, détrônant Justin Bieber jusqu’à ce que les ventes de Je ne suis qu’une chanson explosent, ce n’est pas un mauvais jeu de mots, au pays de la soeur de Kim Jong-un. Or Ô Canada, qui est bien plus entêté que le tableau des médailles, a mis plus d’un siècle à changer. C’est maintenant chose faite après une décision parlementaire: afin de faire moins genré, la toune ne dit plus, à la troisième ligne, « True patriot love in all of thy sons'
command », mais « True patriot love in all of us command ». Un « us » inclusif, il va sans dire.
Bon, vous me direz que, dans un contexte olympique, peu nous chaut que cette transformation fondamentale soit survenue puisque la version diffusée pour les médaillés d’or est instrumentale. Sauf qu’il arrive que des champions soient tentés de chanter, ne serait-ce qu’à voix basse, et qu’il pourrait dès lors se trouver de leurs compatriotes patriotes rompus à l’art de la lecture sur les lèvres pour voir s’ils ont fait la mise à jour appropriée.
Certains athlètes canadiens, qui ont bien d’autres choses à faire, ont déjà appelé à la compréhension du public si jamais ils ont la tête ailleurs et recyclent du vieux stock. Ce sera quand même un dossier brûlant à ne pas quitter des yeux.
Pour ce qui est de la version française, rien n’est changé, et conformément à la troisième ligne, c’est toujours le front ceint de fleurons glorieux que vous pourrez passer les deux prochaines semaines. J’ai essayé, et je vous jure, c’est très seyant.