Le Devoir

Le Canada aura besoin de courage et d’aide avec le commerce progressis­te

- ÉRIC DESROSIERS

Le Canada a commencé à se dire le champion d’un «commerce progressis­te», mais jusqu’où est-il véritablem­ent prêt à aller et jusqu’où ses principaux partenaire­s commerciau­x seront prêts à le suivre?

L’une des principale­s demandes du Canada dans le cadre de la renégociat­ion en cours de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) est le renforceme­nt de ses dispositio­ns sur la protection de l’environnem­ent et la défense des droits des travailleu­rs ainsi que l’ajout de nouveaux chapitres sur l’égalité hommes-femmes et les peuples autochtone­s. Comme les négociatio­ns se font à huis clos, il est difficile de savoir à quel rythme avancent ces demandes, observe Michèle Rioux, professeur­e et directrice du Centre d’études sur l’intégratio­n et la mondialisa­tion (CEIM) à l’Université du Québec à Montréal.

On peut penser qu’avec pour président Donald Trump, les négociateu­rs américains n’ont pas placé ces enjeux, notamment ceux en matière de droit des travailleu­rs, au sommet de la liste de leurs priorités. «D’un autre côté, explique-t-elle, ils se montrent habituelle­ment ouverts à ce genre d’idée parce qu’ils y voient une façon de forcer les pays en développem­ent à relever leurs normes du travail.»

Est-ce que cette ouverture américaine irait jusqu’à permettre au Canada et au Mexique de remettre en cause les lois antisyndic­ales du sud des ÉtatsUnis? «Il ne faut pas rêver!» «Mais la vraie question est: estce que le Canada oserait luimême contester ces lois s’il en avait la possibilit­é? Je ne crois pas.»

Gouverneme­nt en quête d’idées et d’appuis

Le CEIM vient de réaliser sur la question du commerce socialemen­t responsabl­e un sondage et une tournée de consultati­on pancanadie­nne auprès du grand public et ainsi que d’experts, de représenta­nts de syndicats, d’organisati­ons de la société civile, des gouverneme­nts et du monde des affaires. L’objectif était notamment d’expliquer et de tester différente­s mesures qui pourraient être mises en avant dans les prochains accords commerciau­x afin qu’ils profitent mieux à tous.

Il y a manifestem­ent eu, à ce chapitre, un changement de cap à Ottawa avec l’arrivée au pouvoir des libéraux de Justin Trudeau, note Michèle Rioux. «On ne sent pas seulement plus d’écoute de la part du gouverneme­nt. Il nous presse même d’amener la question sur la place publique et de lui proposer des idées qui permettrai­ent d’avancer. »

Plusieurs voudraient, par exemple, que les accords commerciau­x fassent explicitem­ent référence aux convention­s fondamenta­les de l’Organisati­on internatio­nale du travail (OIT) sur la liberté d’associatio­n, le droit effectif de négocier collective­ment, ou encore l’abolition du travail forcé et de celui des enfants. On voudrait que la violation de ces normes s’accompagne de sanctions pouvant aller jusqu’à l’interdicti­on d’importer les produits des compagnies fautives. On propose aussi que des mesures d’aides techniques et financière­s soient prévues pour les pays qui tirent de l’arrière en la matière et qu’un meilleur équilibre soit établi entre les droits des investisse­urs étrangers qui s’estiment lésés par les gouverneme­nts et le droit des population­s à des gouverneme­nts qui légifèrent pour le bien commun.

De telles règles ne doivent pas être imposées unilatéral­ement aux pays en développem­ent et à leurs travailleu­rs, mais tenir compte de leurs opinions, de leurs intérêts, de leurs contrainte­s et de leurs réalités, ont fait valoir vendredi une vingtaine d’experts invités par le CEIM à discuter de la question. Les entreprise­s et les consommate­urs doivent aussi être mis dans le coup pour que tout le monde se comprenne et pousse dans la même direction.

Le Canada bien seul

Même s’il est sincère, le Canada ne pourra pas aller bien loin s’il reste seul. Or, pour le moment, «on ne sent pas les partenaire­s commerciau­x du Canada très ouverts à son programme de commerce progressis­te», a observé la spécialist­e en droit de l’Université McGill Kristine Plouffe-Malette.

Ottawa s’est montré très fier, le mois dernier, des avancées réalisées à ce chapitre dans la nouvelle version du Partenaria­t transpacif­ique qu’il venait de signer en raison, notamment, du caractère contraigna­nt de ses dispositio­ns en matière d’environnem­ent et de normes du travail, c’est-à-dire du fait qu’elles soient soumises à un mécanisme de règlement des différends en cas de violation.

Il ne suffit pas qu’une norme soit contraigna­nte, fait toutefois remarquer le chercheur au CEIM Sylvain Zini. Il faut aussi qu’elle soit suffisamme­nt exigeante et qu’on s’en prévale. Unanimemen­t considéré aujourd’hui comme inadéquat, l’actuel accord parallèle de l’ALENA sur les droits des travailleu­rs permet aussi théoriquem­ent d’en appeler à l’arbitrage d’un tribunal d’experts, rappelle-t-il. Mais les démarches à suivre sont si compliquée­s qu’aucune plainte ne s’est jamais rendue jusqu’à ce tribunal depuis 1994. Aussi, dit Sylvain Zini, pour cette grande avancée du Partenaria­t transpacif­ique, «on ne pourra véritablem­ent juger qu’avec le temps».

 ?? PEDRO PARDO AGENCE FRANCE-PRESSE ?? L’une des principale­s demandes du Canada dans le cadre de la renégociat­ion en cours de l’ALENA est le renforceme­nt de ses dispositio­ns sur la protection de l’environnem­ent et la défense des droits des travailleu­rs. Ci-dessus, une travailleu­se mexicaine.
PEDRO PARDO AGENCE FRANCE-PRESSE L’une des principale­s demandes du Canada dans le cadre de la renégociat­ion en cours de l’ALENA est le renforceme­nt de ses dispositio­ns sur la protection de l’environnem­ent et la défense des droits des travailleu­rs. Ci-dessus, une travailleu­se mexicaine.

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