Le Canada aura besoin de courage et d’aide avec le commerce progressiste
Le Canada a commencé à se dire le champion d’un «commerce progressiste», mais jusqu’où est-il véritablement prêt à aller et jusqu’où ses principaux partenaires commerciaux seront prêts à le suivre?
L’une des principales demandes du Canada dans le cadre de la renégociation en cours de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) est le renforcement de ses dispositions sur la protection de l’environnement et la défense des droits des travailleurs ainsi que l’ajout de nouveaux chapitres sur l’égalité hommes-femmes et les peuples autochtones. Comme les négociations se font à huis clos, il est difficile de savoir à quel rythme avancent ces demandes, observe Michèle Rioux, professeure et directrice du Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation (CEIM) à l’Université du Québec à Montréal.
On peut penser qu’avec pour président Donald Trump, les négociateurs américains n’ont pas placé ces enjeux, notamment ceux en matière de droit des travailleurs, au sommet de la liste de leurs priorités. «D’un autre côté, explique-t-elle, ils se montrent habituellement ouverts à ce genre d’idée parce qu’ils y voient une façon de forcer les pays en développement à relever leurs normes du travail.»
Est-ce que cette ouverture américaine irait jusqu’à permettre au Canada et au Mexique de remettre en cause les lois antisyndicales du sud des ÉtatsUnis? «Il ne faut pas rêver!» «Mais la vraie question est: estce que le Canada oserait luimême contester ces lois s’il en avait la possibilité? Je ne crois pas.»
Gouvernement en quête d’idées et d’appuis
Le CEIM vient de réaliser sur la question du commerce socialement responsable un sondage et une tournée de consultation pancanadienne auprès du grand public et ainsi que d’experts, de représentants de syndicats, d’organisations de la société civile, des gouvernements et du monde des affaires. L’objectif était notamment d’expliquer et de tester différentes mesures qui pourraient être mises en avant dans les prochains accords commerciaux afin qu’ils profitent mieux à tous.
Il y a manifestement eu, à ce chapitre, un changement de cap à Ottawa avec l’arrivée au pouvoir des libéraux de Justin Trudeau, note Michèle Rioux. «On ne sent pas seulement plus d’écoute de la part du gouvernement. Il nous presse même d’amener la question sur la place publique et de lui proposer des idées qui permettraient d’avancer. »
Plusieurs voudraient, par exemple, que les accords commerciaux fassent explicitement référence aux conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur la liberté d’association, le droit effectif de négocier collectivement, ou encore l’abolition du travail forcé et de celui des enfants. On voudrait que la violation de ces normes s’accompagne de sanctions pouvant aller jusqu’à l’interdiction d’importer les produits des compagnies fautives. On propose aussi que des mesures d’aides techniques et financières soient prévues pour les pays qui tirent de l’arrière en la matière et qu’un meilleur équilibre soit établi entre les droits des investisseurs étrangers qui s’estiment lésés par les gouvernements et le droit des populations à des gouvernements qui légifèrent pour le bien commun.
De telles règles ne doivent pas être imposées unilatéralement aux pays en développement et à leurs travailleurs, mais tenir compte de leurs opinions, de leurs intérêts, de leurs contraintes et de leurs réalités, ont fait valoir vendredi une vingtaine d’experts invités par le CEIM à discuter de la question. Les entreprises et les consommateurs doivent aussi être mis dans le coup pour que tout le monde se comprenne et pousse dans la même direction.
Le Canada bien seul
Même s’il est sincère, le Canada ne pourra pas aller bien loin s’il reste seul. Or, pour le moment, «on ne sent pas les partenaires commerciaux du Canada très ouverts à son programme de commerce progressiste», a observé la spécialiste en droit de l’Université McGill Kristine Plouffe-Malette.
Ottawa s’est montré très fier, le mois dernier, des avancées réalisées à ce chapitre dans la nouvelle version du Partenariat transpacifique qu’il venait de signer en raison, notamment, du caractère contraignant de ses dispositions en matière d’environnement et de normes du travail, c’est-à-dire du fait qu’elles soient soumises à un mécanisme de règlement des différends en cas de violation.
Il ne suffit pas qu’une norme soit contraignante, fait toutefois remarquer le chercheur au CEIM Sylvain Zini. Il faut aussi qu’elle soit suffisamment exigeante et qu’on s’en prévale. Unanimement considéré aujourd’hui comme inadéquat, l’actuel accord parallèle de l’ALENA sur les droits des travailleurs permet aussi théoriquement d’en appeler à l’arbitrage d’un tribunal d’experts, rappelle-t-il. Mais les démarches à suivre sont si compliquées qu’aucune plainte ne s’est jamais rendue jusqu’à ce tribunal depuis 1994. Aussi, dit Sylvain Zini, pour cette grande avancée du Partenariat transpacifique, «on ne pourra véritablement juger qu’avec le temps».