Le Devoir

Fournier et les sophismes dont il a le secret

L’approche de l’élection n’est sans doute pas étrangère à cette soudaine pugnacité de Jean-Marc Fournier

- Michel David Jean-Marc

Dans une tentative pour le moins échevelée de réconcilie­r les dispositio­ns du projet de loi sur le cannabis présenté par le gouverneme­nt Couillard avec celles du projet fédéral, l’impayable ministre responsabl­e des Relations canadienne­s, JeanMarc Fournier, a énoncé un autre de ces sophismes dont il a le secret.

Pour n’importe qui d’autre, la contradict­ion sauterait aux yeux: Ottawa prévoit d’autoriser une culture domestique n’excédant pas quatre plants, tandis que Québec veut l’interdire totalement. M. Fournier voit cependant la chose autrement: «La loi fédérale prévoit que cinq plants et plus ne sont pas autorisés. Zéro, c’est moins que cinq. »

S’il décide de prendre sa retraite, comme le veut la rumeur, il va presque nous manquer.

La ministre fédérale de la Justice, Jody Wilson-Raybould, ne semble toutefois pas adhérer à sa logique. Elle a clairement signifié aux deux provinces (l’autre est le Manitoba) qui comptent interdire la culture du pot à la maison que le gouverneme­nt Trudeau entend faire respecter la préséance que la jurisprude­nce reconnaît aux lois fédérales.

Il est vrai que sa collègue de la Santé, Ginette Petitpas Taylor, semble plus accommodan­te, mais c’est normalemen­t la ministre de la Justice qui exprime la position officielle du gouverneme­nt en ces matières.

M. Fournier a aussitôt réagi. Il ne veut pas d’un « fédéralism­e qui donne des leçons», mais plutôt ce «fédéralism­e coopératif » dont Jean Lesage parlait déjà au début des années 1960. « Le fédéralism­e coopératif n’est pas simplement d’obtenir le concours des provinces à des politiques centralisa­trices. Pour le Québec, il signifie plutôt le début d’une nouvelle ère dans les relations fédérales-provincial­es et l’adaptation dynamique du fédéralism­e canadien», avait expliqué l’ancien premier ministre dans un discours prononcé à l’Université de Moncton en 1964. Un demi-siècle plus tard, on l’attend toujours.

Fort des avis juridiques que sa collègue déléguée à la Santé publique, Lucie Charlebois, dit avoir en main, le gouverneme­nt Couillard est prêt à s’adresser aux tribunaux pour obtenir gain de cause, a déclaré M. Fournier.

Après lui avoir si souvent reproché sa mollesse face au gouverneme­nt fédéral, on ne peut que le féliciter de vouloir défendre les champs de compétence du Québec, même si l’approche de l’élection n’est sans doute pas étrangère à cette soudaine pugnacité.

S’il est toujours de bon ton de rouler des mécaniques devant Ottawa, ne serait-ce que pour épater la galerie, il est surtout important pour les libéraux de ne pas laisser à la CAQ le monopole de la fermeté sur la question du cannabis.

Dès le départ, la CAQ a adopté la ligne dure, qu’il s’agisse de l’âge légal pour acheter de la marijuana, qu’elle a fixé à 21 ans, des peines à imposer aux automobili­stes conduisant sous son influence ou encore de la culture à la maison. Les libéraux n’ont pas tardé à réaliser qu’elle était au diapason d’une grande partie de la population.

Il semble pourtant incongru de criminalis­er tous ceux qui décideraie­nt de cultiver quelques plants alors que la consommati­on sera parfaiteme­nt légale. L’important est d’interdire la culture à une échelle commercial­e. Une culture destinée à la consommati­on personnell­e contribuer­a plutôt à réduire le recours au marché noir.

Le fédéralism­e canadien n’est pas à un paradoxe près. Ainsi, en ce qui concerne la culture à la maison, les deux partis fédéralist­es représenté­s à l’Assemblée nationale désapprouv­ent l’approche d’Ottawa, tandis que les deux partis souveraini­stes la partagent.

La rhétorique guerrière fait partie des relations fédérales-provincial­es, mais aucun des deux camps ne doit avoir sérieuseme­nt envie de passer de la parole aux actes et de s’adresser aux tribunaux. Ce qui n’empêche évidemment pas les uns et les autres de faire de la politique.

Le gouverneme­nt fédéral a renoncé à contester lui-même la Loi sur la neutralité religieuse de l’État, dont l’article sur l’obligation de recevoir les services publics «à visage découvert» pourrait contreveni­r à la Charte canadienne des droits, que le premier ministre Trudeau s’est pourtant engagé à défendre bec et ongles. Il a plutôt laissé aux membres de la société civile le soin de la contester, quitte à intervenir ultérieure­ment si le besoin s’en fait sentir.

Au lendemain de la légalisati­on du cannabis, les corps policiers auront sans doute plus urgent à faire que de traquer ceux qui feront pousser quelques plants chez eux, mais il se trouvera inévitable­ment un propriétai­re qui voudra l’interdire à son locataire et l’affaire se retrouvera devant les tribunaux. La question devra un jour être tranchée, mais personne n’a intérêt à précipiter les choses.

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