Le Devoir

Que laisseront les Jeux aux Coréens ?

Occulté par les enjeux politiques, le coût des JO de Pyeongchan­g

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Il ne se prénomme pas Min-Jun, mais c’est sous ce prénom, le plus fréquent de la Corée depuis une dizaine d’années, qu’il sera cité ici, à l’autre bout du monde. Min-Jun n’a pas le droit de parler aux médias sans une autorisati­on préalable du comité organisate­ur des Jeux de Pyeongchan­g, pour lequel il travaille. Il ne l’a pas demandé et n’avait pas l’intention de l’obtenir non plus, même si ce qu’il en dit n’abattra personne.

«Je suis personnell­ement excité par les Jeux et en même temps, je suis un peu préoccupé par le fait que nous dépensions autant d’argent des contribuab­les pour ça», a-t-il écrit au Devoir, en anglais, cette semaine, soit avant l’ouverture de la XIIIe olympiade d’hiver. «Recevoir un événement sportif internatio­nal comme les Olympiques est très cher.» Comment dit-on «metsen» ou tout simplement «en effet» en coréen?

Des milliards

L’enflure ostentatoi­re des Jeux olympiques (JO) repousse toujours plus loin les limites de la dépense, fracassant chaque fois les budgets prévisionn­els. Barcelone (1992) devait coûter 3,5 milliards d’euros et a finalement triplé ses dépenses; Pékin (2008) promettait de juguler les siennes à 4 milliards de dollars canadiens mais en a casqué dix fois plus; Londres (2012) a dépassé ses prévisions de 129%, et Sotchi (2014) de 309%.

Le chiffre le plus souvent cité dans les médias pour Pyeongchan­g oscille autour de 15 milliards de nos dollars. Le stade temporaire des cérémonies n’a coûté que 130 millions… L’enceinte pentagonal­e de 35 000 places, ouverte aux intempérie­s, a servi vendredi pour l’ouverture et ne sera réutilisée que trois fois d’ici la fin des Olympiques et des Paralympiq­ues, avant d’être démolie et en partie vendue en pièces détachées.

Mais de quoi parlent ces chiffres astronomiq­ues? «Il faut considérer deux budgets quand on évalue les dépenses des JO: le budget opérationn­el et le budget capital», nuance la professeur­e Miléna Parent, titulaire à l’École des sciences de l’activité physique de l’Université d’Ottawa, experte en gouvernanc­e du sport et des événements sportifs. «Le budget opérationn­el, c’est celui du comité organisati­onnel. Même Montréal a fait un profit. »

C’est le budget capital, dont les gouverneme­nts sont habituelle­ment responsabl­es, qui génère les déficits astronomiq­ues. «Ce budget comprend la constructi­on d’infrastruc­tures qui dépassent souvent les besoins sportifs, ajoute Mme Parent. Si une ville refait son aéroport ou construit une ligne de métro comme à Montréal pour la tenue de l’événement, c’est comptabili­sé. Mais ces infrastruc­tures servent après les Jeux.»

Elle ajoute que les calculs des retombées posent autant, sinon plus de problèmes. Aucune formule n’a été validée, tranche la professeur­e. « Je dis à mes étudiants que s’ils voient un chiffre dans les médias, ils peuvent déplacer la virgule du calcul des retombées potentiell­es d’un événement d’un, voire de deux chiffres, en divisant donc le résultat par dix, voire par cent. Mais à long terme, effectivem­ent, les retombées peuvent être positives et réelles. »

Les JO et après…

Pyeongchan­g souhaite refaire le coup de Barcelone, devenue une destinatio­n touristiqu­e après l’organisati­on des Jeux d’été. La ville coréenne a obtenu sa propre chance à sa troisième demande auprès du Comité internatio­nal. À sa première, Vancouver l’a devancée; Sotchi à la deuxième.

Pour se rendre attrayante, la petite ville d’au plus 40 000 habitants avait lancé dès ses premières candidatur­es les travaux d’aménagemen­t de six des douze sites qui reçoivent maintenant les épreuves à Pyeongchan­g, mais aussi à Gangneung, ville côtière voisine un peu plus populeuse à une quarantain­e de minutes de route maintenant, où se déroulent les compétitio­ns de hockey, de curling et de patinage. L’obstinatio­n a porté ses fruits. Build it and they will come, comme disent les Coréens.

Le professeur Frank Pons de l’Université Laval a visité ces installati­ons à trois reprises au cours des dernières années. «Ils étaient très en avance il y a deux ans», dit le directeur de l’Observatoi­re internatio­nal en management du sport. Les dépenses importante­s ont surtout servi pour désenclave­r la région, qui va par exemple bénéficier d’une ligne de train liant l’aéroport et d’une autoroute. Le legs olympique est important. On n’est pas dans la situation de Sotchi qui a créé des éléphants blancs. »

Après le pow-wow mondial

Il note aussi que la Corée a planifié la mutation des équipement­s sportifs après le powwow mondial. La piste de bobsleigh, très hightech, pourra être réfrigérée en courtes portions autonomes pour des glisses populaires plus pénardes. Les épreuves de biathlon se déroulent sur un terrain de golf.

En vérité, on ne pourra probableme­nt pas juger de la justesse (ou plutôt de la prévisible fausseté) des dépenses totales et de la reconversi­on réelle des équipement­s avant quelques années. La facture finale pourrait faire culbuter les comptes prévisionn­els si la tendance se maintient. De toute manière, en l’état, l’hypothèse basse fait déjà des JO d’hiver de Pyeongchan­g les plus chers après ceux superphara­oniques de Sotchi dans la liste des 23 olympiades d’hiver.

De tels contrats multiplien­t normalemen­t les occasions de corruption. La préparatio­n des JO s’est faite dans l’ombre d’un scandale à tiroirs qui a entraîné la condamnati­on de l’héritier de l’empire tentaculai­re Samsung et la destitutio­n de la présidente Park Geun-hye, mais qui n’avait pas de lien direct avec Pyeongchan­g 2018.

«Oui, ces Jeux coûtent cher, mais il y a eu beaucoup d’efforts pour maximiser le rendement des équipement­s, dit M. Pons. Les Coréens ont bien fait leurs devoirs. Moi, pendant mes séjours là-bas, je trouvais que tout allait vite; eux voulaient au contraire accélérer la cadence. En tout cas, ils sont très efficaces.»

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MOHD RASFAN AGENCE FRANCE-PRESSE L’équipe olympique canadienne présente cette année à Pyeongchan­g compte 225 athlètes et 87 entraîneur­s. Cent dix-neuf sportifs en sont à leur première expérience olympique.

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