Encore un effort, Mme McKenna !
Le gouvernement Trudeau a finalement présenté sa réforme du processus d’évaluation environnementale fédéral. Personne n’était vraiment mécontent, sauf les conservateurs, mais personne ne jubilait non plus. Difficile d’en être autrement quand les attentes sont contradictoires. Cela ne veut pas dire pour autant que cela ne représente pas un progrès.
En 2012, le gouvernement Harper avait semé l’émoi en profitant de son projet de loi budgétaire omnibus pour procéder à une transformation radicale du régime fédéral d’évaluation environnementale. On morcelait le processus et le rendait plus conciliant à l’endroit des entreprises, provoquant une levée de boucliers chez nombre de citoyens, d’environnementalistes et d’autochtones. Les libéraux ont rapidement promis d’annuler cette politique afin de rétablir la confiance des citoyens dans le processus et, par ricochet, ses conclusions et afin de rassurer les entreprises qui voyaient les contestations se multiplier.
Rien ne dit que la réforme proposée jeudi y parviendra, mais plusieurs éléments pourraient y contribuer. L’évaluation environnementale préalable des grands projets sera confiée à un seul organisme, l’Agence canadienne d’évaluation des impacts (ACEI). Elle procédera ensuite à l’évaluation en profondeur ou secondera des commissions d’examen nommées par le ministre dans le cas de projets plus complexes.
Pour rassurer les entreprises et espérer voir les projets se réaliser rapidement, le projet de loi prévoit des délais plus serrés. On verra à l’usage si c’est réaliste, car la liste des impacts à prendre en compte est — heureusement — beaucoup plus longue, allant de la santé à l’économie en passant par l’atteinte des objectifs en matière de lutte contre les changements climatiques.
Le gouvernement se vante de prévoir la prise en compte des effets cumulatifs, mais il n’a rien inventé, le paragraphe à ce sujet figurait déjà dans la loi de 1992. Le problème est qu’on l’ignorait. Espérons que l’insistance libérale lui donnera enfin le poids qu’il mérite.
On fait aussi une place plus grande à la contribution du public. Dans le cas des autochtones, on prévoit d’intégrer leur savoir, leur point de vue et de respecter leurs droits. On ne leur donne pas le dernier mot, ce que certains réclamaient pour un projet sur un territoire revendiqué. Selon la ministre de l’Environnement, Catherine McKenna, l’obligation est de tout faire pour obtenir leur accord, mais quand plusieurs communautés divergent d’opinion, il faut trancher.
Un élément à souligner est cette possibilité non seulement de tenir des examens conjoints, mais de substituer une évaluation provinciale à la fédérale afin de ne plus dédoubler les efforts de tout le monde. Une évaluation déjà terminée pourrait même être acceptée. Il y aurait des conditions, dont l’évaluation des impacts prévus dans la loi fédérale, et des exceptions.
Ce projet de loi a caché dans ses replis des éléments capables de semer le doute. Il y a d’abord cette distinction entre grands projets, évalués par l’Agence ou des commissions d’examen, et petits projets, qui seront encore examinés par des organismes réglementaires, comme la nouvelle Régie de l’énergie. On ignore toujours ce qui les distingue.
Ensuite, c’est le cabinet ou le ministre qui aura le dernier mot sur le sort d’un grand projet, peu importe les conclusions de l’agence ou des commissions. «L’intérêt public» serait le futur guide. La ministre a justifié cette approche en disant qu’il revient aux élus de rendre des comptes. Mais jusqu’à la réforme Harper, la loi était claire. Ni le ministre ni le cabinet ne pouvaient permettre la réalisation d’un projet, même assorti de mesures d’atténuation, si l’évaluation concluait que ce projet était «susceptible d’entraîner des effets environnementaux qui n’[étaient] pas justifiables dans les circonstances ».
Tous les gouvernements ne comprennent pas l’intérêt public de la même façon et beaucoup de politiciens le confondent avec leurs intérêts électoraux. Le garde-fou inscrit dans la loi pendant 20 ans n’était pas là pour rien. C’est d’ailleurs son abandon qui a déclenché la crise de confiance en 2012. Il faut renouer avec cette règle pour redonner crédibilité au processus. Que vaut l’écoute du public, des autochtones et des scientifiques par des experts indépendants si leurs conclusions sont ignorées pour une raison aussi subjective que l’intérêt public ?