Traitement inéquitable envers l’UQ en Outaouais
L’intervention publique de Lise Bissonnette, présidente démissionnaire du conseil d’administration de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), dans Le Devoir du 31 janvier, est effectivement un «cri du coeur» qui doit être entendu et pris au sérieux par le gouvernement du Québec. Ce qui est vrai pour l’UQAM l’est aussi pour les universités du Québec en région. Cependant, de façon singulière, ce «cri du coeur» pourrait également venir des dirigeants de l’UQO.
La région de l’Outaouais a une situation frontalière, avec l’Ontario, qui est unique au Québec. Mais elle a, paradoxalement, été négligée par Québec et souffre, encore aujourd’hui, d’un retard de développement historique en matière d’enseignement supérieur. Même si l’université a commencé ses activités pédagogiques en 1971, ce n’est qu’en 1981 que l’Université du Québec à Hull (UQAH, aujourd’hui UQO) a été fondée et a obtenu ses lettres patentes.
Outre ce retard, et en raison de sa situation géographique, l’UQO doit faire face aux effets pervers concurrentiels et historiques des établissements d’enseignement supérieur de l’Ontario: l’Université d’Ottawa, l’Université SaintPaul et l’Université Carlton. Sous la pression et le lobbying de l’Alliance pour la cause de l’ensei- gnement supérieur en Outaouais (ACESO), le gouvernement Couillard octroie un «statut particulier » en enseignement supérieur à l’Outaouais en 2015. Mais le financement public censé accompagner ce «statut particulier» n’est toujours pas effectif. Or, dans l’Outaouais, la situation de disparité est encore plus critique qu’ailleurs au Québec. En effet, l’UQO souffre d’un sous-financement chronique lié à sa part du financement des constituantes de l’UQ en région.
Certes, la situation est reconnue par le gouvernement en 2008 et corrigée en partie seulement et la somme restante à rembourser par le gouvernement représente à elle seule la majorité de la dette de l’UQO. En plus, les hautes compressions budgétaires du gouvernement Couillard entre 2012 et 2016 ont été particulièrement trop élevées pour l’UQO. Selon les données institutionnelles, ces restrictions sont estimées à environ 5 millions, mais le début du réinvestissement public était de l’ordre de 750 000 $.
L’UQO joue un rôle socioéconomique et culturel très important dans la région. Par sa fonction d’enseignement, elle forme en français des personnes d’une population frontalière à celle de l’Ontario anglophone, limitant dans une large mesure le fort risque d’anglicisation, surtout de la jeunesse. Les professionnels francophones ainsi formés travaillant dans les secteurs de la société sont plus nombreux qu’il y a 40 ans. L’Outaouais est reconnu pour être une région québécoise par excellence d’innovations sociales et technologiques. Les chaires et laboratoires de l’UQO font de la recherche et for- ment des chercheurs en français dans la région de la capitale du Canada, considérée comme une « Silicon Valley ».
Plusieurs demandes
Pour continuer à jouer ce rôle capital, l’UQO demande depuis 20 ans des subventions d’infrastructures et le développement des nouveaux programmes. Dans le premier cas, elle a présenté un projet de consolidation qui consiste en la construction d’un nouveau pavillon adjacent au pavillon principal situé sur le boulevard Alexandre-Taché, qui abriterait les activités d’un autre pavillon situé dans une autre rue. Le but d’une telle opération est de créer un véritable campus, d’éviter le dédoublement des activités pédagogiques et d’autres services et de faire ainsi des économies qui pourront être investies dans la création de nouveaux programmes ou dans l’embauche de professeurs.
Le coût total de ce projet estimé à 47,5 millions devrait être assumé par le gouvernement fédéral, celui du Québec et la Fondation de l’UQO. En 2016, le gouvernement du Canada a lancé le programme de subvention d’infrastructures pour les établissements d’enseignement supérieur. Le Fonds d’investissement stratégique canadien est de l’ordre de 730 millions de dollars. Le choix des projets relevait du gouvernement du Québec. «L’UQAM a obtenu 10,5 millions […] l’Université de Montréal a obtenu 250 millions, McGill, 75 millions et Concordia, 37 millions» (Le Devoir, 31 janvier 2018).
Sur l’autre rive de l’Outaouais, presque tous les établissements d’enseignement postsecondaire avaient été financés. Mais de ce côté-ci de la rivière, l’UQO, toutes choses égales par ailleurs, n’a reçu aucun sou. La part du gouvernement du Québec n’a pas été versée jusqu’ici.
Afin de recruter davantage d’étudiants francophones de la région et de réduire le nombre d’entre eux qui s’inscrivent dans les universités à Ottawa, l’UQO a des projets de développement de nouveaux programmes en sciences sociales et humaines, en sciences de la santé, en sciences pures, en sciences appliquées, etc. Mais les financements du Québec sont au mieux insuffisants, au pire carrément refusés.
Tout bien considéré, c’est l’ensemble des universités du Québec que l’État québécois ne traite pas équitablement par rapport aux universités dites «à charte ou privées». Mais dans cet ensemble, toutes proportions gardées, la situation est encore plus critique pour les constituantes de l’UQ en région. Pour l’UQO, le «statut particulier» que le gouvernement de Couillard lui a octroyé en 2015, à cause de sa situation géographique unique au Québec, demeure jusqu’ici un voeu pieux.
L’histoire de l’Outaouais montre que c’est par la pression exercée sur les différents gouvernements du Québec et par la mobilisation de sa population que la région a pu se doter de l’Hôpital de Gatineau, du campus Félix-Leclerc du cégep et du Carrefour jeunesse emploi de l’Outaouais. C’est sans doute par une telle action collective ou un «cri du coeur» de ses dirigeants que l’UQO pourra espérer avoir gain de cause.