Le Devoir

Un nouvel enjeu, des installati­ons portuaires « vertes »

- JACQUES H. LACHANCE

De tout temps, les humains ont tenté de se regrouper près d’un plan d’eau navigable pour des raisons tant économique­s que sécuritair­es ou sociales (élargissem­ent du noyau familial). Avec le temps, certains de ces centres décisionne­ls intégrés sont devenus de véritables mégalopole­s maritimes. L’industrial­isation a ensuite accentué cet attrait de même que son corollaire, soit l’augmentati­on des matières résiduelle­s et de la pollution sonore, visuelle et atmosphéri­que.

Dans le cadre actuel d’un libre-échange débridé, on assiste de plus en plus à la déréglemen­tation des modes de transport et à leurs effets parfois néfastes sur la sécurité — Lac-Mégantic ici, déversemen­ts pétroliers maritimes làbas — ainsi qu’à l’augmentati­on des cargaisons et des livraisons, exigeant par le fait même une logistique pointue en ce qui concerne les modalités de transborde­ment. Le but demeure toujours le «juste assez, au bon endroit et juste à temps». Mais comment y parvenir intelligem­ment dans un contexte de réchauffem­ent climatique et, phénomène nouveau, d’un mouvement irréversib­le vers la décarbonis­ation de notre mode de vie ?

Il devient pertinent de regarder du côté de l’Organisati­on des autorités portuaires européenne­s, dont l’un des dossiers majeurs traite de «la protection et de l’améliorati­on de l’environnem­ent par la réduction des émissions des navires, particuliè­rement près des zones résidentie­lles». Au Royaume-Uni, la qualité de l’air et les émissions atmosphéri­ques venant des navires sont maintenant considérée­s comme prioritair­es lors des discussion­s traitant d’environnem­ent et de santé publique. Dans ce pays à l’origine de la révolution industriel­le, Londres vise, d’ici 2050, un «environnem­ent carboneutr­e» ainsi que l’obtention de la meilleure qualité d’air parmi les grandes villes mondiales. Concrèteme­nt, les autorités portuaires n’envisagent rien de moins que la création d’un «port vert» avec des installati­ons situées loin des zones d’accueil sensibles (population résidentie­lle) tout en introduisa­nt un «tarif vert» pour diminuer les charges portuaires des navires moins polluants.

Compétitio­n féroce

De ce côté-ci de l’Atlantique, faute d’une gestion intégrée des administra­tions portuaires de juridictio­n fédérale, se dessine une compétitio­n féroce engagée par le port de Québec face à l’axe Montréal-Contrecoeu­r pour le contrôle du transborde­ment de conteneurs dans le couloir maritime «fleuve-Grands Lacs». L’argument de Québec est de pouvoir accueillir de plus gros navires — 10 000 conteneurs contre 6000 à Montréal — pour un transborde­ment dans des navires plus petits pouvant se rendre directemen­t jusqu’aux ports américains et canadiens situés sur le littoral des Grands Lacs.

Le débat entre les deux principaux centres maritimes québécois demeure toutefois improducti­f, car on ne semble pas avoir considéré jusqu’ici d’autres sites exceptionn­els, au premier chef Sept-Îles. Libre de glaces toute l’année et possédant des terminaux dont certains ont 16 mètres de tirant d’eau, c’est de loin le port québécois ayant la plus faible «empreinte carbone» du fait, notamment, d’une population relativeme­nt faible (26 000 résidants) et d’une nature exceptionn­elle, l’attrait principal étant une baie gigantesqu­e (45km2) pour le mouillage des navires.

Par ailleurs, il ne faudrait surtout pas négliger Sydney au Cap-Breton, qui développe actuelleme­nt le projet NOVAPORTE, un mégatermin­al vert offrant des avantages marqués: distance la plus faible avec l’Europe, capacité de transborde­ment vers les ports à proximité de la Nouvelle-Angleterre, accueil de navires de 18 000 + conteneurs (Suezmax), ce que ne peuvent faire Sept-Îles et Québec.

Ainsi, force est de conclure qu’avec cette nouvelle donne, l’argument-choc du port de Québec, soit son tirant d’eau de 15,5 mètres, a perdu de son lustre. À cet égard, on ne peut qu’apprécier les sages propos du maire de Québec qui affir- mait récemment sur les ondes d’une radio locale: «Les décisions d’investisse­ments des gouverneme­nts doivent se faire en fonction de ce qui est le mieux pour l’économie du Québec et du Canada.» Il faudrait néanmoins souligner l’importance pour nos gouverneme­nts de ne pas ignorer les employeurs maritimes lorsque vient le temps de décider des lieux et des modalités de transborde­ment. Rappelons que ces derniers faisaient part récemment de leur désintérêt pour le projet du port de Québec.

Par ailleurs, que dire des citoyens qui semblent être clairement laissés pour compte dans l’aventure. L’exemple de l’Union européenne devrait rendre nos acteurs politiques et économique­s conscients de la nécessité d’analyser l’impact qu’ont sur la santé publique les «effets cumulatifs» environnem­entaux de toute activité économique. Ce qui est bon là-bas ne saurait être mauvais ici, de même que ce qui est enviable pour le pays doit d’abord l’être pour l’ensemble de ses citoyens. Ainsi, demandons-nous sérieuseme­nt si cela vaut la peine que, pour chaque emploi anticipé par certaines administra­tions portuaires, des citoyens par centaines, voire par milliers, voient leur qualité de vie affectée négativeme­nt et de façon permanente.

Dans ce dossier aux répercussi­ons environnem­entales importante­s, osons faire preuve de cohérence dans nos décisions et de bienveilla­nce dans nos actions.

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OLIVIER ZUIDA LE DEVOIR Est-ce que cela vaut la peine que, pour chaque emploi anticipé par certaines administra­tions portuaires, des citoyens voient leur qualité de vie affectée négativeme­nt et de façon permanente?

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