Maxime Denommée du côté de chez Michel Marc Bouchard
Pour Le chemin des passes-dangereuses, l’acteur plonge dans la cartographie des solitudes québécoises
Les deux, pourrait-on dire, ont amorcé leur fructueuse carrière la même année. En 1998, tandis que Le chemin
des passes-dangereuses était mis au monde à la Compagnie Jean-Duceppe, Maxime Denommée sortait du Conservatoire d’art dramatique. Vingt ans plus tard, leurs routes se croisent à la faveur d’une nouvelle production, sur la même scène, de cette pièce qui a été montée depuis dans une quinzaine de pays.
Le comédien note pourtant qu’«on se reconnaît beaucoup, comme Québécois», dans la «tragédie routière» de Michel Marc Bouchard. Le récit de ces trois frères coincés, par un accident sur un chemin forestier, à l’endroit même de la mort de leur père, quinze ans plus tôt, offre «une métaphore de la situation du Québec », avec l’échec de ses deux référendums. À travers cette fratrie dissemblable, chacun ancré dans un pôle différent de la province (Montréal, Québec, la région) et portant des visions du monde, des rapports au passé divergents, la pièce dessine aussi une cartographie des «solitudes» qui y cohabitent. Un portrait qui n’a guère changé.
Ces personnages masculins, qui ont du mal à communiquer vraiment, ont longtemps évité de parler du sujet crucial: le secret entourant la disparition du père, dont ils partagent la responsabilité. Et la mort de ce poète alcoolique, qui faisait honte à ses fils par ses déclamations publiques, c’est aussi celle des mots. Michel Marc Bouchard y fait allusion au règne de l’image, explique l’interprète. « Il s’est demandé : qu’est-ce que je fais maintenant ? Estce qu’on doit se taire? Arrêter de dire les vraies choses? Il est parti un peu en réaction contre ça. »
On vit dans un monde d’«impressions», comme le dit le personnage que joue Maxime Denommée, plutôt que vraiment dans le réel. Dans l’apparence. «C’est encore plus d’actualité, je pense. On ne vit pas vraiment
les choses pour nous, mais pour nos amis virtuels. Peut-on vivre un moment sans être obligé de le poster? Sans penser à ce dont on va avoir l’air?» Lui-même est totalement absent des réseaux sociaux : « J’ai comme trois amis et je n’ai pas le temps de les voir, alors ça ne me donne rien d’en avoir 1200… »
Le personnage, cette illusion
Le chemin des passes-dangereuses plonge ses personnages dans une étrange sensation de déjà-vu. Aussi portée par Alexandre Goyette et Félix-Antoine Duval, la partition comporte des passages choraux, des réitérations. «On s’est rendu compte que, puisque la [situation] n’est pas réaliste, il fallait la jouer un peu comme si c’était une tragédie de Racine. Mais tout en essayant d’abord de trouver la justification de chaque réplique, afin que le texte ne soit pas juste une musique abstraite. »
Maxime Denommée avait déjà joué du Michel Marc Bouchard: Les
muses orphelines, aussi dirigée par Martine Beaulne, en 2013. Le dramaturge aurait alors très apprécié son interprétation sobre du fils qui se travestit pour choquer: «Il n’avait jamais vu un acteur rester aussi masculin tout en portant une robe…» Cette fois, le comédien, qui enfile sa quatrième pièce depuis un an — remarqué notamment en futur marié accoutré d’un tutu dans Les enivrés, à l’automne —, va camper le plus loquace des frères, un galeriste gai. Sans aller dans le cliché.
Pour Maxime Denommée, il ne s’agit pas de composer, mais d’être. « Les acteurs ne doivent pas chercher à créer un personnage, ils ont juste à jouer une situation. Le personnage, c’est moi. Le spectateur va voir un personnage, mais c’est une illusion. » Reste que c’est plus simple lorsque le rôle lui ressemble davantage, tel le protagoniste plus taiseux de la pièce
Des arbres, qu’il a créée à La Licorne — et dont il poursuivra la tournée, pancanadienne, au printemps.
C’est peut-être à cause de cette vérité qu’on lui confie souvent des rôles mettant en valeur sa sensibilité. Un réflexe qu’il juge parfois facile. «À la télé, quand je vois dans le script que [mon personnage] pleure, je me dis: ben oui, c’est pour ça qu’ils m’ont appelé. Lui, il est bon quand il pleure ! » ironise-t-il.
La retenue
Sur scène, Maxime Denommée sait pourtant que la retenue a bien plus d’impact que l’épanchement. «J’ai souvent l’impression que les acteurs volent les émotions aux spectateurs, parce qu’ils la consomment euxmêmes. Mais c’est au spectateur de vivre la catharsis, pas à nous. »
Ce principe de ne pas trop appuyer l’émotion, le créateur l’applique toujours à titre de metteur en scène — une fonction qu’il a exercée quatre fois à La Licorne et qu’il continue d’exercer dans les écoles de théâtre. Mais comme les autres, Maxime Denommée doit se le faire rappeler lorsqu’il est lui-même interprète, tant il est rassurant pour un comédien de vivre les émotions. «On a l’impression d’être à la bonne place, d’être bons. Mais on oublie souvent que, si l’acteur éprouve l’émotion, le spectateur ne la ressent pas, lui. Il fait juste en être témoin.»
«C’est un acte de générosité, jouer au théâtre, rappelle le comédien. Et pour les acteurs qui ne sont pas généreux, ça ne marche pas, le théâtre. Parce qu’ils n’ont pas l’humilité nécessaire pour admettre qu’ils sont juste une courroie de transmission. On travaille tous pour l’auteur. »
J’ai souvent l’impression que les acteurs volent les émotions aux spectateurs, parce qu’ils la consomment eux-mêmes. Mais c’est au spectateur de vivre la catharsis, pas à nous. MAXIME DENOMMÉE