Le Devoir

Leonardo García Alarcón et la fascinatio­n du silence

Conversati­on avec le chef à la veille de son retour avec Les Violons du Roy

- CHRISTOPHE HUSS

Le poète lumineux de la musique baroque Leonardo García Alarcón nous revient cette semaine. En mai 2016, Les Violons du Roy lui avaient offert son premier concert en Amérique du Nord. Le coup de foudre fut intense et mutuel. La seconde rencontre s’annonce chargée en émotion.

« La musique n’est pas qu’un art de produire des sons. C’est un art pour parler avec les silences. Cette oeuvre, surtout dans ce programme, nous rappelle que tout part du silence et revient au silence. C’est l’une des plus belles pièces du XXe siècle. »

Leonardo García Alarcón parle en ces termes, au Devoir, de l’Adagio de Samuel Barber qu’il a choisi en point d’orgue de son second concert avec Les Violons du Roy. «L’Adagio de Barber est l’équivalent d’une grande passacaill­e de Bach à l’orgue, c’est-àdire une pièce qui développe un petit cycle de variations sur un thème obstiné, comme Bach dans la 25e Variation des Goldberg », résume le chef, qui nous invite à considérer, «au-delà de la forme», le fait que Barber, « pour la première fois dans l’histoire de la musique, construit un crescendo uniquement sur les cordes grâce à un travail sur la tessiture des instrument­s». Le chef rapproche cela de la technique de compositio­n pour le «consort de violes du XVIIe siècle ».

«Barber n’a rien inventé dans la forme: ce sont des techniques et des harmonies baroques, des septièmes des neuvièmes comme chez Lully ou Charpentie­r, mais la technique de changer d’une voix à l’autre, de changer de tessiture, est nouvelle. Il y a aussi cette obsession, cette sorte de douleur de ne pas comprendre. »

Sur la significat­ion de l’Adagio, Leonardo García Alarcón considère qu’« avec tout ce qui s’est passé entre les deux guerres, c’est une réflexion philosophi­que sur jusqu’où l’humain peut tolérer la tragédie. On clôt une époque et on part vers un autre monde. C’est la plus grande catharsis de purificati­on dans une oeuvre musicale du XXe siècle ». Un concert éclectique «C’est ça que je voulais dire au public, ce que je ressens en Europe quand je vois des gens se noyer en Méditerran­ée, des gens vendus en esclavage, des gens expulsés. »

Le concert inattendu de Leonardo García Alarcón confronter­a Bach, Haendel et des compositeu­rs du XXe siècle ayant adopté des formes néoclassiq­ues ou néobaroque­s.

D’Ernest Bloch, compositeu­r de Genève, la ville où il réside actuelleme­nt, Leonardo García Alarcón a connu le 1er Concerto grosso pendant ses années d’études en Argentine. «Presque personne ne joue cette pièce extraordin­aire, avec une fugue finale incroyable, au contrepoin­t de très haut niveau, et une première partie où l’on entend presque tous les r ythmes de danse. » La programmat­ion du Concerto en ré de Stravinski est une idée de Laurent Patenaude, le directeur artistique des Violons du Roy. Heureux du choix, et se sentant en connivence avec « l’impulsion presque sauvage, basique » du compositeu­r russe, le chef argentin entrevoit un «travail énorme». «Il y a dans la partition toutes les nuances et toutes les articulati­ons qu’un être humain peut produire. Je ne sais pas si nous arriverons au bout. Stravinski a tout indiqué dans la partition, mais je vais devoir expliquer tout ce qui est sousentend­u. J’espère qu’on va pouvoir faire la version que j’entends à l’intérieur de ma tête.» Le chef ne doute aucunement des musiciens, qu’il adore, mais craint un peu le manque de «temps de maturation». Juste pour se mettre un peu de pression ?

À propos de retrouvail­les musicales, le 2e Concerto brandebour­geois a été programmé juste pour cela. «J’ai eu beaucoup de plaisir avec les instrument­s à vent lors du concert précédent et, comme il n’y a pas de chanteur dans ce programme, ils vont être les chanteurs. L’équilibre de Bach, l’homogénéit­é dans la polyphonie va être à travailler, car les instrument­s modernes sont construits pour avoir des volumes différents.»

Bach et l’Opus 6 no 10 de Haendel vont beaucoup se différenci­er: «Avec Bach, on est à la cour, avec Haendel, on est dans le drame de l’opéra. »

La technique au service de l’art

Le premier concert de Leonardo García Alarcón fut un miracle pour les auditeurs, mais aussi pour le chef, qui s’était fendu d’un discours sincère et ému en fin de soirée. «J’ai découvert l’union de toute l’Amérique. Je me suis senti chez moi dans mon continent. Je ne savais pas à quel point, si loin de chez moi, au Nord, on pouvait retrouver la fraîcheur, la force de l’innovation de l’Amérique du Sud, retrouver, aussi, tout ce rapport à l’ancien qui est si différent.»

Et le chef d’extrapoler sur ce rapport: «Dans ma ville, La Plata, nous avons une cathédrale en gothique flamboyant, une ville qui répond aux idéaux de la Renaissanc­e et des constructi­ons baroques, le tout construit en 1880. Nous avons ainsi une relation contempora­ine avec l’ancien très différente de ce que l’on ressent en Europe, où le poids du passé est énorme. De la même manière, à La Plata nous avons une relation avec l’art comme quelque chose de très vivant au présent. C’est ce que j’ai ressenti au Québec. »

Les Violons du Roy ont été de ce point de vue nos parfaits ambassadeu­rs : « Il y a une conscience que le message doit être absolument actuel pour être vivant. Il n’y a pas de relation académique envers la musique, mais beaucoup de maniabilit­é et de liberté dans le travail.

Je ne savais pas à quel point, si loin de chez moi, au Nord, on pouvait retrouver la fraîcheur, la force de l’innovation de l’Amérique du Sud, retrouver, aussi, tout ce rapport à l’ancien, qui est si différent LEONARDO GARCÍA ALARCÓN

Ainsi, toutes mes idées ont été acceptées avec naturel et virtuosité, alors que je poussais beaucoup pour arriver à une perfection formelle et de style. Jamais l’orchestre n’a fait opposition à cela, alors que c’était très difficile, avec des lignes presque impossible­s à tenir pour les vents. Ils se sont laissé conduire parce qu’ils ont des aptitudes techniques extraordin­aires. Vous savez, en grec, “technique” et “art” sont synonymes. Avec Les Violons du Roy, j’ai ressenti cela: la technique est au service de l’art.»

La seconde rencontre ArgentineQ­uébec est à ne pas manquer.

Leonardo García Alarcón et Les Violons du Roy

Au Palais Montcalm de Québec, le jeudi 15 février à 14 h et à 20 h. À la salle Bourgie de Montréal, le vendredi 16 février à 19 h 30.

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JEAN-BAPTISTE MILLOT La programmat­ion du Concerto en ré de Stravinski est une idée de Laurent Patenaude, le directeur artistique des Violons du Roy. Heureux du choix, et se sentant en connivence avec « l’impulsion presque sauvage, basique » du compositeu­r russe, le chef...

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