Le Devoir

Une place à prendre pour Ought

Le quatuor post-punk montréalai­s offre un nouvel album aux thèmes philosophi­ques

- SOPHIE CHARTIER

Room Inside the

World est une suite des deux premiers albums acclamés de Ought,

More than Any Other Day et Sun Coming Down. Si la nouvelle collection de chansons, puisant dans un répertoire plus diversifié, présente des signes d’assagissem­ent, la démarche du groupe reste ancrée dans la radicalité. Le Devoir a discuté avec son chanteur, à la veille de la sortie du troisième opus attendu.

Il n’y a qu’un seul soi. C’est bien là une des rares certitudes que l’on puisse avoir. Mieux vaut l’aimer, pas vrai? C’est ce que semblent avancer les quatre garçons de Ought qui, pour une troisième fois, couchent sur sillons leur poésie incisive avec un titre à teneur très wolfienne. Le quatuor aux membres d’origine américaine et australien­ne y élabore un manifeste à la gloire de l’authentici­té.

«Je dois me souvenir / que mon coeur m’appartient», entend-on en finale de l’extrait These 3 Things, diffusé en novembre comme avantgoût. Les textes de l’album, parfois réflectifs, parfois inquiets, presque toujours lumineux, poursuiven­t dans la même veine, parlant de dignité et d’intégrité à défendre dans un monde hostile.

De la puissance d’exister

C’est comme si les quatre rockeurs, qui ont travaillé ce coup-ci en symbiose communicat­ionnelle, pondaient un manuel pratique en neuf chapitres (pour autant de chansons) répondant au titre hypothétiq­ue « Comment être vrai dans le monde ? ». Une version post-punk du célèbre slogan « Don’t believe the hype », en quelque sorte.

«Il ne faut pas se méprendre», avertit Tim Darcy, chanteur et guitariste qui compose Ought avec ses collègues Tim Keen, Ben Stidworthy et Matt May. «Cet album reste très politique.»

En 2014, à leur présentati­on au monde avec More than Any Other

Day, on avait applaudi à leur aplomb et à leur force vive, à leur attitude punk qui ne tombait jamais dans l’ironie. Lorsqu’un second disque avait suivi, l’année d’après, on avait célébré la constance de leur pugnacité et leur maîtrise de la tension. Cette fois, la nervosité crue laisse place à une émotivité cristallin­e, une sincérité élévatrice. La catharsis autour de l’acte revendicat­eur est approchée autrement : par la pleine conscience.

«Une grande part [du disque] s’intéresse à nos manières d’apprendre à naviguer dans la vie, commente Darcy. Mais il s’attache surtout à l’idée de ne pas renier les sentiments qui auraient pu nous animer dans le passé et à trouver une façon — même si ceux-ci ont changé — de les adapter au présent. Comment trouver sa voix unique, d’une certaine façon.»

La palette sonore s’est agrandie, aussi. On fait appel au synthé, au

drum machine, au vibraphone. Il y a là-dedans un peu de Kate Bush, de Springstee­n, de Brian Eno, en plus des Talking Heads et The Fall, auxquels le groupe était déjà largement comparé. Il y a aussi des solos clins d’oeil à Television. Puis il y a du gospel et du dance.

Maturité ?

Et il y a l’écriture. Le groupe s’affichait contre le patriarcat et parlait de l’absurdité du monde capitalist­e. Aujourd’hui, il propose de tourner le regard vers soi. «Cet album reste dans la même ligne de pensée que nos deux précédents. Mais c’est effectivem­ent ce qui s’approche le plus d’un nouveau chapitre pour notre groupe», affirme le chanteur.

Cette évolution est-elle symptomati­que du passage à l’âge de raison? «C’est assurément une réflexion sur la transition vers une autre portion de la vie, où la situation dans laquelle on se trouve peut changer», répond Tim Darcy, qui avait d’ailleurs fait paraître un album solo en 2017. « Et apprendre à vivre avec le choc, après coup… Mais plus largement, il s’agit de penser à comment on peut devenir une force consciente et positive, plutôt que de se lancer dans des actions politiques directes. »

Room Inside the World interroge ainsi indirectem­ent un thème récurrent de la conversati­on sociétale : l’affirmatio­n identitair­e. «Ouais, je crois qu’il y a pas mal de recherche d’introspect­ion par les temps qui courent », répond Darcy en riant.

Ought est l’un de ces groupes qui ne laissent pas les choses au hasard. «On estime très important de véhiculer du sens. Mais on reste tous les quatre vraiment obsédés de musique ! »

Room Inside the World

Ought, Royal Mountain/Merge. Sortie le 16 février. En spectacle de lancement le 6 mars au théâtre Fairmount, avec Snail Mail et Common Holly.

 ?? JENNA LEDGER ?? Sur son troisième album, Room Inside the World, Ought élabore un manifeste à la gloire de l’authentici­té.
JENNA LEDGER Sur son troisième album, Room Inside the World, Ought élabore un manifeste à la gloire de l’authentici­té.

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