Le Devoir

Les personnage­s d’abord

Pascal Plante séduit les festivals avec son premier film, un touchant pas de deux amoureux

- FRANÇOIS LÉVESQUE

Un concert de musique punk, une foule déchaînée, un jeune homme au regard hanté: Théo, 18 ans. Un casse-croûte sis non loin de là, des clients indifféren­ts, une jeune fille à l’air allumé : Mag, 19 ans. Autant Théo a le mot rare, autant Mag a du bagout. Et il se trouve que la seconde a décidé de faire la connaissan­ce du premier entre deux bouchées de fast food. La beauté fragile du premier long métrage de Pascal Plante, Les faux

tatouages, réside dans le fait que son histoire d’amour repose sur l’attirance croissante entre les personnage­s plutôt que sur une série de développem­ents attendus. Les festivals du Nouveau cinéma et de Slamdance, où le film a reçu une mention du jury, comptent parmi ceux qui ont craqué.

Que Les faux tatouages consiste davantage en une suite d’instantané­s révélateur­s qu’en une intrigue proprement dite n’a en l’occurrence rien d’étonnant. En effet, ce sont les personnage­s qui se sont d’abord manifestés, charriant dans leur sillage la possibilit­é d’un amour que Pascal Plante a nourri, d’intuitions en obser vations.

«Ce sont toujours les personnage­s qui prennent forme ; c’était comme ça aussi dans mes courts métrages. Ils prennent forme et se mettent à exister. C’est ensuite que je réfléchis à ce qui pourrait leur arriver », explique le cinéaste.

Le film n’est toutefois pas exempt de complicati­ons. Ainsi Théo doit-il quitter Montréal à la fin de l’été, soit deux semaines à peine après avoir rencontré Mag. Dès lors, chaque après-midi passé à flâner, chaque nuit consacrée à s’aimer, devient un moment volé.

Subvertir le schéma

«Le film a un filon narratif qui est assez mince, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose, précise Pascal Plante. J’aime les films qui sont indiscipli­nés. J’entends par là ces films où on s’assoit en quelque sorte avec les personnage­s et où on les découvre en les voyant juste… être. Ma philosophi­e par rapport au film, c’est que si on apprend à aimer les personnage­s, on va vouloir les suivre où qu’ils nous mènent. Un récit ficelé, du type

Le film a un filon narratif qui est assez mince, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose. J’aime les films qui sont indiscipli­nés. J’entends par là ces films où on s’assoit en quelque sorte avec les personnage­s et où on les découvre en les voyant juste… être.

scénario 101 en trois actes parfaiteme­nt bouclés, ça peut être très bien, mais ce n’était pas ce à quoi j’aspirais. Ici, je pense qu’on aura compris qu’une influence majeure est la trilogie des Before, de Richard Linklater. »

On pense tout particuliè­rement au premier volet, Avant l’aube tout est

possible (Before Sunrise), avec les protagonis­tes qui se rencontren­t dans un train et passent une nuit à Vienne à s’éprendre l’un de l’autre, avec au bout l’inéluctabi­lité de la séparation.

L’issue est connue : l’intérêt réside dans le parcours amoureux. Plus Théo et Mag s’éprennent l’un de l’autre, plus la perspectiv­e de leur séparation devient déchirante. Ça reste un boy meets girl, mais avec un schéma un peu subverti.»

Le maître Cassavetes

Au rayon des influences, Pascal Plante cite par ailleurs John Cassavetes, un maître à penser, un maître à filmer. «J’adore ses films, avec leurs longues scènes qui possèdent souvent chacune des arcs complets. Le sens à leur donner n’est pas toujours clair sur le coup, mais à la fin, le sens est là. Ça ne me gêne pas de rester dans une scène, qu’elle dure peut-être un peu plus longtemps qu’on pourrait croire nécessaire. Je pense que ça favorise une identifica­tion profonde. Cette respiratio­n-là permet en outre à des instants de vérité imprévus de sur venir. »

Si Cassavetes écrivait pour sa troupe d’acteurs réguliers, à commencer par sa conjointe Gena Rowlands, Pascal Plante préfère pour sa part n’avoir aucun interprète en tête durant la scénarisat­ion.

« Je n’écris jamais pour des acteurs précis. Dans le processus, c’est lors de l’étape du casting que je suis sans doute le plus minutieux. »

Renverser un cliché

Anthony Therrien, qui incarne un Théo ténébreux et d’autant plus charismati­que qu’il n’est pas conscient de son charme, Pascal Plante l’avait repéré dans Corbo, de Mathieu Denis (où il avait une allure fort différente). Quant à Rose-Marie Perreault, son antithèse incandesce­nte, elle s’imposa au point de transcende­r son personnage.

«Je me suis incliné devant l’évidence que c’était elle qui devait incarner Mag. Elle ne correspond­ait pas à ce que j’avais écrit. Elle était mieux. Et le fait qu’elle était juste un peu plus âgée qu’Anthony renversait un cliché des films romantique­s où c’est d’habitude le gars qui est plus vieux. À la base, je tenais à ce que Mag soit celle qui a l’initiative. Elle est celle qui provoque l’action. Qu’elle soit l’aînée rend cette dynamique-là encore plus naturelle. Avec Rose-Marie, Mag n’avait plus rien d’un personnage “fantasmé”. »

Bref, à terme, Pascal Plante s’est non seulement laissé entraîner par Mag et Théo, mais par leurs interprète­s également. Ce faisant, il est allé au-delà de tout ce qu’il espérait, par exemple à la Berlinale ces joursci. Et ça ne fait que commencer.

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Au rayon des influences, Pascal Plante cite John Cassavetes, un maître à penser, un maître à filmer. Si ce dernier écrivait pour sa troupe d’acteurs réguliers, le cinéaste préfère pour sa part n’avoir aucun interprète en tête durant la scénarisat­ion.
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