L’évangile selon Karl Marx
Entre une communiste et un curé de campagne, l’affrontement se joue au confessionnal
Les partisans de la théologie de la libération ne s’y sont pas trompés : à sa façon, Jésus était un révolutionnaire, et son message évangélique, un appel en faveur des plus démunis qui contenait sa part de radicalisme — parlez-en aux marchands du temple!
Sans adhérer complètement à cette vision, le cinéaste Nicolas Boukhrief
(Le convoyeur, Made in France) semble séduit par cet affrontement intellectuel entre un prêtre bienveillant, très Vatican II avant l’heure, et une communiste farouchement athée; dans un petit village de la France profonde secoué par la Deuxième Guerre mondiale et la présence des soldats allemands, la chose apparaît aussi incongrue que dangereuse. Cette lutte puise ses racines dans
Léon Morin, prêtre, un roman à teneur autobiographique signé Béatrix Beck, prix Goncourt 1952, suivi d’une célèbre adaptation de Jean-Pierre Melville avec les non moins célèbres Jean-Paul Belmondo, portant la croix, et Emmanuelle Riva, le marteau.
La confession se situe à la même époque, mais le film n’échappe pas à un désir d’ancrage dans le présent pour mieux illustrer le poids du passé. D’où cette mécanique surfaite du retour en arrière où Barny, l’héroïne mourante, au soir de sa vie, raconte à un jeune prêtre désemparé le «secret» qui la ronge depuis des décennies: ceux qui s’attendent à des révélations fracassantes seront déçus.
Avant la Libération, Barny (Marine Vatch sur le même registre tendu) voulait déjà briser ses chaînes, refusant d’aller à la messe, ne respectant que les évangiles selon Karl Marx, contrairement à ses collègues de la poste locale, un peu plus pieuses et surtout en pâmoison devant le père Morin (Romain Duris, débonnaire, mais sans excès), nouvellement nommé. La communiste convaincue résiste à l’idée de le rencontrer (l’homme à la soutane n’apparaîtra qu’au bout de 20 minutes), mais, par défi, se présente au confessionnal « en ennemie ».
Toujours mariée au père de sa fille dont elle est sans nouvelles depuis sa capture en Allemagne, Barny succombe à son tour au charme de cet humaniste érudit et souriant, revendiquant un désir de renouer avec le catholicisme doublé de celui, inavouable, d’aimer un homme qui a épousé l’Église.
L’esthétique de Nicolas Boukhrief affiche une austérité dictée autant par ses choix de mise en scène que par les moyens mis à sa disposition, sa caméra étant souvent cantonnée dans des intérieurs tristes et exigus. L’Occupation est davantage affaire de sons d’ambiance, et les résistants se cachent si bien qu’on ne les voit jamais, même lorsqu’ils provoquent des coups d’éclat. Tout, ou presque, est subordonné à cette grande joute verbale entre deux êtres qui causent beaucoup, pour mieux taire l’essentiel.
Ces questions spirituelles n’ont rien de futile, et quoi qu’on en dise, n’ont rien perdu de leur actualité, mais les enjeux psychologiques sont souvent noyés dans des discours cérébraux, parfois vaseux. Le feu du désir brûle sans doute sous les cendres théologiques, mais nous sommes loin des grands déchirements moraux qui faisaient la force de films «catholiques» à l’esthétique tout aussi dépouillée qu’étaient Au revoir les enfants ou Des hommes et des dieux. Des moments de communion cinématographique autrement plus puissants.
La confession ★★★ Drame de Nicolas Boukhrief. Avec Marine Vacth, Romain Duris, Anne Le Ny. France, 2017, 116 minutes.