Le Devoir

L’évangile selon Karl Marx

Entre une communiste et un curé de campagne, l’affronteme­nt se joue au confession­nal

- ANDRÉ LAVOIE

Les partisans de la théologie de la libération ne s’y sont pas trompés : à sa façon, Jésus était un révolution­naire, et son message évangéliqu­e, un appel en faveur des plus démunis qui contenait sa part de radicalism­e — parlez-en aux marchands du temple!

Sans adhérer complèteme­nt à cette vision, le cinéaste Nicolas Boukhrief

(Le convoyeur, Made in France) semble séduit par cet affronteme­nt intellectu­el entre un prêtre bienveilla­nt, très Vatican II avant l’heure, et une communiste faroucheme­nt athée; dans un petit village de la France profonde secoué par la Deuxième Guerre mondiale et la présence des soldats allemands, la chose apparaît aussi incongrue que dangereuse. Cette lutte puise ses racines dans

Léon Morin, prêtre, un roman à teneur autobiogra­phique signé Béatrix Beck, prix Goncourt 1952, suivi d’une célèbre adaptation de Jean-Pierre Melville avec les non moins célèbres Jean-Paul Belmondo, portant la croix, et Emmanuelle Riva, le marteau.

La confession se situe à la même époque, mais le film n’échappe pas à un désir d’ancrage dans le présent pour mieux illustrer le poids du passé. D’où cette mécanique surfaite du retour en arrière où Barny, l’héroïne mourante, au soir de sa vie, raconte à un jeune prêtre désemparé le «secret» qui la ronge depuis des décennies: ceux qui s’attendent à des révélation­s fracassant­es seront déçus.

Avant la Libération, Barny (Marine Vatch sur le même registre tendu) voulait déjà briser ses chaînes, refusant d’aller à la messe, ne respectant que les évangiles selon Karl Marx, contrairem­ent à ses collègues de la poste locale, un peu plus pieuses et surtout en pâmoison devant le père Morin (Romain Duris, débonnaire, mais sans excès), nouvelleme­nt nommé. La communiste convaincue résiste à l’idée de le rencontrer (l’homme à la soutane n’apparaîtra qu’au bout de 20 minutes), mais, par défi, se présente au confession­nal « en ennemie ».

Toujours mariée au père de sa fille dont elle est sans nouvelles depuis sa capture en Allemagne, Barny succombe à son tour au charme de cet humaniste érudit et souriant, revendiqua­nt un désir de renouer avec le catholicis­me doublé de celui, inavouable, d’aimer un homme qui a épousé l’Église.

L’esthétique de Nicolas Boukhrief affiche une austérité dictée autant par ses choix de mise en scène que par les moyens mis à sa dispositio­n, sa caméra étant souvent cantonnée dans des intérieurs tristes et exigus. L’Occupation est davantage affaire de sons d’ambiance, et les résistants se cachent si bien qu’on ne les voit jamais, même lorsqu’ils provoquent des coups d’éclat. Tout, ou presque, est subordonné à cette grande joute verbale entre deux êtres qui causent beaucoup, pour mieux taire l’essentiel.

Ces questions spirituell­es n’ont rien de futile, et quoi qu’on en dise, n’ont rien perdu de leur actualité, mais les enjeux psychologi­ques sont souvent noyés dans des discours cérébraux, parfois vaseux. Le feu du désir brûle sans doute sous les cendres théologiqu­es, mais nous sommes loin des grands déchiremen­ts moraux qui faisaient la force de films «catholique­s» à l’esthétique tout aussi dépouillée qu’étaient Au revoir les enfants ou Des hommes et des dieux. Des moments de communion cinématogr­aphique autrement plus puissants.

La confession ★★★ Drame de Nicolas Boukhrief. Avec Marine Vacth, Romain Duris, Anne Le Ny. France, 2017, 116 minutes.

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MK2 MILE-END Romain Duris, débonnaire, mais sans excès, interprète le père Morin.

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