Le rythme des mots pour défier l’insignifiance
Avec un premier roman, la slameuse Kate Tempest écorche Londres et les Londoniens
Becky, Harry et Léon, trois jeunes Londoniens, prennent la poudre d’escampette à bord d’une vieille Ford Cortina, une valise remplie de billets dans le coffre. Ils ont les mains moites, le coeur serré. L’urgence est palpable.
Au fil des 429 pages de ce premier roman écrit par la slameuse et poétesse britannique Kate Tempest, la cause de cette mystérieuse fuite se dévoilera à travers une fresque d’événements et d’interactions complexes, couvrant plusieurs générations. Entretenant savamment le suspense, la romancière dissèque avec empathie et application le passé d’une myriade de personnages, parents, oncles et autres, dont l’existence et les décisions influencent celles du trio.
Ramenant à l’avant-scène des personnages tirés tout droit de son plus récent album de rap, Everybody
Down, l’artiste multidisciplinaire de 30 ans critique avec véhémence Londres et les Londoniens, leurs excès insignifiants, leur peur de l’engagement, leur existence qui tient dans leur téléphone portable, leur culte insensé des apparences et leurs préceptes économiques bâtis à grands coups de matérialisme et d’obsolescence programmée.
«Trouve ton talent. Traque-le, enferme-le dans une cage, donne la clef à celui qui a le pognon et félicitetoi pour ton courage. Dandine-toi sur ta chaise, balance une oeillade au type que tu vas ramener chez toi de toute façon. Clame ta fidélité sur tous les toits. Rien n’est pour toi mais tout est à vendre. Autour de toi on te vend du rêve et à la fin tu ne sens plus rien.»
Becky, une danseuse ratée, est contrainte de faire des massages érotiques à des clients dispersés dans les hôtels de la ville; Harry, le garçon manqué, et Léon, fils d’un immigrant vénézuélien, vendent de la drogue aux hommes d’affaires et aux artistes les plus riches de Londres, dans l’espoir vain d’une vie normale.
Ces trois jeunes meurtris par le cynisme sont sans cesse renvoyés à leur minable existence. Animés de passions qu’ils ne peuvent assouvir, coincés dans l’anonymat le plus total, ils s’enfoncent dans une solitude dont ils ne s’extirpent qu’à coup d’ecstasy et de gins tonics.
«Chacun cherche cette étincelle qui donnera du sens à sa vie. Cette miette de perfection fuyante qui fera peut-être battre leur coeur plus fort.»
Avec un sens du rythme hors du commun, Kate Tempest alterne avec habileté les élans lyriques et les dialogues tantôt passionnés, tantôt désabusés de ses personnages. Son statut de rappeuse transparaît dans la cadence fluide et précise de ses mots, dans la tonalité particulière de ses innombrables métaphores poétiques auxquelles on ajouterait volontiers un air.
Avec Écoute la ville tomber, l’auteure, lauréate du prestigieux prix de poésie Ted Hughes, porte un regard acéré et désenchanté sur la société, en se perdant parfois dans la quête de ses héros, mais en offrant au final un puissant plaidoyer pour la force des connexions humaines et l’importance de les préserver.