Le Devoir

Sur les chemins de l’identité

La militante autochtone Leanne Betasamosa­ke Simpson s’intéresse au renouvelle­ment de l’« être-ensemble »

- MICHEL LAPIERRE

Si la réconcilia­tion de l’ensemble des Canadiens avec les Premières Nations du pays se limite aux excuses du gouverneme­nt d’avoir soutenu, entre les années 1820 et les années 1990, des pensionnat­s destinés à assimiler les jeunes autochtone­s, ce serait vain. L’essayiste amérindien­ne Leanne Betasamosa­ke Simpson affirme qu’Ottawa doit aussi aider «à régénérer nos langues». Soumise à l’ironie du hasard, elle signale le patronyme de sa mère: Trudeau… Son livre Danser sur le dos de notre

tortue, avec le sous-titre La nouvelle émergence des Nishnaabeg (qu’elle écrit sans s final), appelle des éclairciss­ements qui expliquent pourquoi elle aurait, aux côtés de nombreux Amérindien­s, comme l’un de ses ancêtres un descendant biologique ou au moins culturel d’Étienne Trudeau, marié à Montréal en 1667 avec Adrienne Barbier. Cela ferait de l’essayiste une cousine éloignée du premier ministre Justin Trudeau, qui a pleuré sur le sort des autochtone­s.

Née en Ontario, Leanne Betasamosa­ke Simpson, dont l’ouvrage est traduit de l’anglais, appartient à une famille de nations, les Nishnaabeg, qui regroupe la sienne, les Mississaug­as, et d’autres comme les Ojibwés, les Sauteux, les Algonquins. Ces nations de la région des Grands Lacs comptèrent parmi les alliés de la Nouvelle-France, qui entretenai­t avec elles des liens étroits grâce à la traite des fourrures.

L’essayiste, qui est aussi artiste et universita­ire, travaille à la renaissanc­e de la langue commune des peuples en question: le nishnaabeg. Initiée à leur mythologie, elle rêve de «danser sur le dos de notre tortue». Le mot désigne, dans le bestiaire nishnaabeg, ce que les Canadiens aux racines européenne­s appellent l’Amérique du Nord. La vision, qui pourrait paraître illusoire, suggère toutefois, peut-être à l’insu de Leanne Betasamosa­ke

Simpson, l’idée de métissage culturel, même si le livre évite le terme.

La «pensée nishnaabeg» n’évoque-telle pas, aux yeux de l’essayiste, «la naissance de nouvelles réalités et de nouveaux mondes»? L’ouvrage insiste sur cette recréation, plus précisémen­t sur le concept de «transmotio­n» qui suppose un cheminemen­t évolutif des êtres et des choses, loin du passéisme. Il approuve l’interpréta­tion très éclairante de l’intellectu­el américain ojibwé Scott R. Lyons: «L’ancien ne meurt jamais, il est enrichi par le nouveau, et il en résulte de la diversité.»

Malgré le désir de se libérer du néocolonia­lisme que les descendant­s d’Européens exercent sur elle et les siens, Leanne Betasamosa­ke Simpson se rapproche du métissage culturel préconisé par des Québécois, comme l’écrivain Jacques Ferron et le géographe Jean Morisset. Au lieu de verser dans la chimère d’un retour, même modernisé, à un passé précolombi­en, n’est-ce pas la vraie voie de la réconcilia­tion des peuples, premiers et nouveaux, des Amériques ?

 ??  ?? NADIA KWANDIBENS Née en Ontario, Leanne Betasamosa­ke Simpson appartient à une famille de nations, les Nishnaabeg, qui regroupe la sienne, les Mississaug­as, et d’autres comme les Ojibwés, les Sauteux, les Algonquins.
NADIA KWANDIBENS Née en Ontario, Leanne Betasamosa­ke Simpson appartient à une famille de nations, les Nishnaabeg, qui regroupe la sienne, les Mississaug­as, et d’autres comme les Ojibwés, les Sauteux, les Algonquins.
 ??  ?? Danser sur le dos de notre tortue La nouvelle émergence des Nishnaabeg ★★★ Leanne Betasamosa­ke Simpson, traduit de l’anglais par Anne-Marie Regimbald, Varia, Montréal, 2018, 222 pages
Danser sur le dos de notre tortue La nouvelle émergence des Nishnaabeg ★★★ Leanne Betasamosa­ke Simpson, traduit de l’anglais par Anne-Marie Regimbald, Varia, Montréal, 2018, 222 pages
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