Le ralentissement et la destruction comme solutions
Le Mois Multi 2018 conclut une série d’éditions portées par le réenchantement du monde
Pour une troisième édition de suite, le Mois Multi, festival d’arts multidisciplinaires et électroniques de Québec, s’anime autour de l’idée de transformer un monde mal en point. La thématique du «réenchantement» proposée par la commissaire invitée Ariane Plante a pris plusieurs tons depuis 2016, entre l’inquiétude et la candeur.
À mi-chemin, le Mois Multi 2018, lui, se veut sinon salutaire, un brin optimiste. Non sans oser parfois être radical, voire violent.
Le ralentissement et la destruction sont quelques-unes des voies empruntées par les artistes à l’oeuvre en cette deuxième semaine de festival. Le programme étant toujours aussi vaste et irrégulier, entre des performances de deux soirs et des installations à durée variable, notre survol ne peut être que fragmentaire.
Côté centre d’artistes
Par sa nature immatérielle et invisible, l’art sonore a toujours quelque chose de radical. Surtout dans un festival où la technologie est souvent l’affaire du visuellement spectaculaire. L’inclusion du travail essentiellement auditif de Magali Babin était déjà, en soi, une très bonne idée.
Pour changer, même en quête d’un nouvel enchantement, il faut parfois rompre brutalement nos habitudes. Présentée dans la petite salle du centre d’artistes l’OEil de poisson, l’oeuvre Ça ne peut pas durer
toujours le fait de manière élégante. On n’expérimente pas cette installation comme on visite habituellement une exposition. L’artiste, figure de l’art sonore au Québec, impose son rituel. Un crochet mural et un
banc nous invitent d’abord à retirer manteau et bottes. On peut ensuite traverser un rideau et monter dans un petit espace légèrement surélevé et plongé dans la pénombre. L’aménagement douillet en tapis et coussins ne donne pas le choix : faut s’asseoir et écouter.
Ça ne peut pas durer toujours appelle à ralentir notre cadence, à faire fi de nos expériences visuelles. La bande audio qui imprègne la salle ne provient pas des bruits et musiques recueillis au hasard, comme le fait habituellement Magali Babin. Les pistes embrouillées, longues et rondes qu’on entend sont tirées du répertoire populaire, deux chansons que l’artiste a ralenties à l’excès. Pourquoi le monde est sans amour, popularisée par Mireille Mathieu, et Quand les hommes vivront d’amour, par Raymond Lévesque, sont méconnaissables, certes. L’artiste les a choisies pour leur portée d’espoir, sans pour autant tenir à les révéler. OEuvre abstraite, Ça ne peut pas durer toujours évoque néanmoins la fragilité, l’évanescence de la vie, des objets.
C’est un cliché, mais disons que certains passages sonnent comme des musiques fantomatiques. Comme si la course à la nouveauté technologique ne peut qu’entraîner de nouveaux cadavres chaque fois.
L’installation de Magali Babin n’est pas que sonore. C’est une ambiance ou un espace qu’elle a fabriqué et qu’elle anime aussi d’un minimum d’objets, comme ce «vase acoustique» posé à la fois comme artefact sonore et comme projecteur de lumière.
Ça ne peut pas durer toujours est présenté jusqu’au dimanche 11 février. L’artiste cherche néanmoins à s’entendre avec Recto-Verso, producteur du Mois Multi, pour faire un jour circuler l’oeuvre. Côté spectacles
Con grazia, le spectacle performatif que présentaient Martin Messier et Anne Thibault cette semaine, avait tout de l’oeuvre exutoire. Armés de marteaux, les deux artistes (lui, compositeur et vidéaste, elle, chorégraphe et interprète) s’en donnent à coeur joie dès les premières minutes en détruisant boules de verre, pommes, oeufs et même un melon très odorant.
Si leurs actions sombraient parfois dans le gaspillage éhonté, la performance sonore (et électrisante) et visuelle (et animée de projections d’ombres) finit, dans son ensemble, par être portée par un geste réparateur. La chose est particulièrement révélatrice quand la musique électronique cède la place à la mélodie descendante et profondément mélancolique du Cantus in memoriam Benjamin Britten d’Arvo Pärt. Comme l’oeuvre du compositeur estonien, Con grazia exprime des remords. Sur le plancher de la salle Multi du complexe Méduse, c’est une civilisation consommatrice et de plus en plus robotisée qui nous hante. La fin proposée par Messier et Thibault laisse néanmoins une lueur d’espoir. Un service en porcelaine a survécu.