À table ! Les débuts de la gastronomie au Château Frontenac.
Le Château Frontenac surplombe la ville et accueille les visiteurs depuis les hauteurs du cap aux Diamants depuis 1893. Quand on pense à cet hôtel — le plus photographié du monde —, la dimension gastronomique n’est jamais bien loin: à sa hauteur géographique correspond une cuisine de haute voltige, qui a permis d’encourager le tourisme de luxe et de faire du Château un phare de l’élégance à Québec depuis 125 ans.
Quel a été l’apport du premier chef ayant officié à ses prestigieux fourneaux? Que peuvent nous apprendre ses premiers menus? Dès son ouverture en 1893, c’est un chef aguerri qui est recruté pour diriger les cuisines de l’hôtel.
D’origine parisienne et fort d’une vingtaine d’années de « succulents états de service», comme l’énonce la presse de l’époque, le chef Henry E. Journet a exercé son art à la Maison Dorée, au Grand Hôtel… et même au palais de l’Élysée, où il a servi le président français Patrice de Mac Mahon.
Ce cuisinier s’y connaît aussi en matière de préférences gastronomiques anglaises, ayant travaillé au Devonshire Club ainsi qu’au Star & Garter de Londres. Juste avant d’arriver à Québec, il est le chef privé du secrétaire à la Marine américaine William Collins Whitney, à New York.
Journet donnera le ton à la cuisine du Château jusqu’en 1910. Fait à noter: ses successeurs seront pratiquement tous Européens, dont Luigi Baltera (Italie), Ernest Schmid (Suisse), Ernest Manfred Roebling (Allemagne). Il faudra attendre 1980 pour qu’un Québécois, Reynald Breton, soit promu chef au Château Frontenac.
Manger au tournant du XXe siècle
Et que sert le chef Journet à la distinguée clientèle du Château? Les menus révèlent que la table châtelaine suit de très près les goûts de la clientèle bourgeoise nord-américaine, avec une touche européenne.
À sa hauteur géographique correspond une cuisine de haute voltige qui a fait du Château un phare de l’élégance depuis 125 ans
Le petit-déjeuner est résolument
British, puisant à la fois dans le sucré — fruits à la crème, prunes étuvées, marmelade, confitures, gruau d’avoine, biscuits, etc. — et dans le salé. Si le jambon et les saucisses sont bien présents, il est aussi possible de savourer du boeuf effiloché à l’oignon, de la surlonge ou des côtelettes. Le brunch dominical est particulièrement bien garni.
Le savoir-faire culinaire s’exprime davantage dans les menus du midi et du soir. La soupe est omniprésente et reflète la diversité des cultures qui fréquentent l’hôtel : on retrouve aussi bien de très français consommés, marmites parisiennes, crèmes de poulet ou de chou-fleur, que des potages appréciés de la riche clientèle anglo-saxonne, comme les soupes à la tortue verte, à la queue de boeuf ou encore au curry. La soupe aux pois habitant deviendra l’un des classiques du Château.
Pour la suite du repas, un seul mot : viande. La côte de boeuf est offerte tous les jours, ainsi que la volaille et, dans une moindre mesure, le porc et l’agneau.
Parmi les accompagnements, la pomme de terre revient à tous les menus, apprêtée d’une dizaine de manières, suivie de près par les petits pois, les concombres, le chou-fleur et les nombreuses déclinaisons de salade.
En adéquation avec la «dent sucrée» de ses visiteurs, le Château propose une jolie variété de desserts, tels la meringue, la crème glacée, le bavarois, le soufflé ou la tarte aux poires.
De l’exotisme au terroir
En parcourant les menus de l’époque du chef Journet, deux choses sautent aux yeux: d’abord, la formulation entremêlant le français et l’anglais; ensuite, le recours important aux dénominations évoquant un certain cosmopolitisme.
Au tournant du siècle, les appellations à l’européenne sont dominantes. De nombreux plats se déclinent à la Vatel, hollandaise, à la Bismark, façon Dubarry, à la Montespan, portugaise, à la Chambord, etc.
Ces noms aux accents des vieux pays visent à conférer plus de distinction aux plats. C’est la cuisine fusion, façon Belle Époque.
Présentes dès l’époque du chef Journet, les propositions évoquant le Nouveau Monde se multiplient, avec le chef Baltera, dans le premier tiers du XXe siècle.
Des plats dits à l’indienne ou à l’américaine apparaissent au menu, mais, surtout, on note les premières évocations du terroir québécois: saumon du Saguenay ou de Gaspé, dindonneau de Valcartier, canard de Brome, chapon du Cap Rouge…
Certains plats font même explicitement référence à la cuisine traditionnelle des campagnes, jugée saine et authentique, comme le potage Bonne Femme, le consommé pot-au-feu et même la tarte «à la Pichoune».
Dans le premier tiers du XXe siècle, des plats dits à l’indienne ou à l’américaine apparaissent au menu, mais, surtout, on note les premières évocations du terroir québécois