Le Devoir

Le charme discret de la brasserie

- JEAN-PHILIPPE TASTET COLLABORAT­EUR LE DEVOIR

Certaines choses ne changent pas. Ou si peu que c’en est reposant. Prenez le Café Cherrier par exemple, le plat que j’y ai goûté hier soir était exactement comme celui dans mon souvenir, pris il y a une trentaine d’années en clôture du premier Tour de l’Île de Montréal. La même présentati­on, la même cuisson, le même assaisonne­ment. Comme c’était très bon à l’époque, on doit remercier les cuisiniers sous la houlette du chef Christian Darroman de n’y avoir rien changé.

C’est sûr qu’à notre époque formidable de perpétuel renouvelle­ment où tout ce qui était merveilleu­x hier est dépassé aujourd’hui et sera complèteme­nt oublié dès demain, cette immobilité intrigue. C’est sûr également que la moyenne d’âge au comptoir du Café Cherrier était, comment dire, très supérieure à celle de la clientèle sautillant­e du tout nouveau restaurant super

chill visité la veille à Saint-Henri et dont je vous parlerai prochainem­ent.

Attablé avec mon ami Ron, nous devisions sur l’intemporal­ité de la cuisine de brasserie française et hésitions entre le hareng mariné, pommes à l’huile et le foie de veau au vinaigre de framboise lorsque venues, par leur seule présence, jeter un élan de fraîcheur dans la salle apparurent deux souriantes jeunesses, collègues du Devoir. Discrètes, elles allèrent s’installer en fond de salle. Tout virtuose de la trompette qu’il soit, Ron me sembla plus émoustillé par cette apparition que par son tartare aux deux saumons, frites et salade.

Les pieds sur terre

Une terrine maison (pintade) et ses condiments, un boudin aux pommes et un tartare aux deux saumons, frites et salade plus loin, je vous confirme que la maison tient toujours la route et que le chef Darroman a toujours bon pied, bon oeil et bon palais. Même constatati­on pour le midi avec un plat du jour impeccable: rôti de veau, jus au thym et linguine carbonara.

Cuissons justes, montages sans chichi, préparatio­ns respectant à la lettre les grands principes de cette cuisine peut-être un peu surannée pour certains, mais tellement reposante lorsque l’on a des goûts simples ou que l’on est simplement un peu las de toutes les cabrioles gastronomi­co-artistique­s contempora­ines.

Bien sûr, les deux jeunettes ont trouvé leurs duos de tartare fades et inintéress­ants; bien sûr, mon trompettis­te ami a opiné, prétextant que la coupe était trop fine; bien sûr, ce n’est pas le meilleur de la carte, mais sur la demi-douzaine de plats testés, la moyenne accordée est très au-dessus de la moyenne. Le chef étant Bordelais, je me suis gardé de prendre les saucisses de Toulouse grillées ; il y a des limites à mon ouverture d’esprit. Un Bordelais!

Conviviali­té

Le décor ici, même s’il est très correct, indique tout de même que les propriétai­res ne le mettent pas en tête de leurs priorités. Le petit salon à droite en entrant est un peu plus cossu. Les clients semblent tout à fait s’en accommoder, et il règne dans les deux salles comme au comptoir une belle conviviali­té.

Une dernière note sur le service, qui est assuré avec ce profession­nalisme rassurant qui fait défaut dans bien d’autres maisons. Pas de familiarit­é excessive, mais une courtoisie de rigueur et une grande attention accordée à tous ces petits détails qui font les belles soirées. Même appréciati­on pour le midi, la personne s’étant occupée de moi lors de mon passage au comptoir ayant fait preuve des mêmes qualités que son collègue en salle la veille au soir.

Alors qu’il me faut parfois batailler pour obtenir de peine et de misère la carte des vins afin de solliciter l’opinion de mon ami Jean, le garçon ce soir-là, me dit en me remettant immédiatem­ent celle-ci: « Mais prenez donc celle-ci, j’en imprimerai une autre plus tard. »

Reposant, disais-je. Du début à la fin.

Une terrine maison et ses condiments, un boudin aux pommes et un tartare aux deux saumons, frites et salade plus loin, je vous confirme que la maison tient toujours la route et que le chef Darroman a toujours bon pied, bon oeil et bon palais

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