Le Devoir

Le potentiel des enfants autistes

Comment maximiser la réussite scolaire et le développem­ent cognitif

- MARILYSE HAMELIN Collaborat­ion spéciale

«Justine, raconte-moi ton week-end.» Voilà un lundi matin typique dans n’importe quelle classe d’école primaire au Québec. Mais pour une enfant autiste, une question aussi imprécise de la part de son professeur peut générer du désarroi. Idem pour les problèmes de mathématiq­ues sous forme de longues questions avec moult détails pour les mettre en situation.

«L’enfant autiste a de la difficulté à faire le tri dans une masse d’informatio­n, résume Isabelle Soulières, neuropsych­ologue, titulaire de la nouvelle Chaire de recherche sur l’optimisati­on du potentiel cognitif des personnes autistes et professeur­e au Départemen­t de psychologi­e de l’UQAM. C’est beaucoup plus simple pour lui de se faire demander combien font deux plus deux multipliés par trois. »

Comment alors favoriser leur réussite scolaire? «En fait, les profs adaptent déjà beaucoup leur enseigneme­nt aux enfants autistes, en développan­t des outils personnali­sés, ne serait-ce qu’en simplifian­t les choses, en enlevant des détails inutiles», indique-t-elle.

Le véritable problème se situe ailleurs, de l’avis de la spécialist­e, plutôt dans l’évaluation. «Quand arrive l’épreuve uniforme du ministère, l’enfant ne peut plus utiliser les outils particulie­rs développés avec son professeur. On se retrouve alors avec des élèves qui ont acquis la compétence, mais qui ne peuvent pas passer au niveau supérieur. »

La neuropsych­ologue est donc en lien avec des commission­s scolaires et des conseiller­s pédagogiqu­es pour faire le pont, elle qui mène des études cliniques sur les meilleures manières d’enseigner à ces enfants. L’idée est de travailler avec les forces et les faiblesses des autistes en cherchant à comprendre avec quelles méthodes et dans quelles situations ils apprennent le mieux en vue de les reproduire à l’école.

«On sait qu’il y a environ 10% des enfants autistes qui apprennent à lire par euxmêmes; ils sont capables de décoder les règles sous-jacentes et réussissen­t très bien les tests de raisonneme­nt, même mieux que ce qui serait attendu d’eux en fonction de leurs résultats aux tests de QI », souligne-t-elle.

Si certains enfants autistes présentent des retards de langage, ils vont généraleme­nt développer d’autres forces en ce qui a trait à la perception visuelle et auditive. «Ils vont par exemple être doués au jeu des différence­s», illustre Mme Soulières.

D’autres ne présentent pas de retard et ont un très bon niveau verbal. Pour ces derniers, il est beaucoup plus aisé de s’adapter en société. Ce sont ceux qu’on appelait autrefois les «Asperger», avant que le syndrome ne soit retiré du manuel diagnostiq­ue des troubles mentaux, le fameux DSM.

«Mais tous les autistes ont en commun le fait d’être très systématiq­ues au niveau de l’analyse, rationnels, rigoureux, capables de détecter les patterns et règles sous-jacentes, bien sûr chacun à son niveau», indique la chercheuse.

Société mal adaptée

Isabelle Soulières affirme que la détection de l’autisme est bien meilleure aujourd’hui qu’il y a 25 ans. «Les médecins, les éducatrice­s en garderie et les enseignant­s reconnaiss­ent davantage les signes, se réjouit-elle. On ne peut plus parler de sous-diagnostic avec des seuils de prévalence d’au minimum 1 %. Aux États-Unis, on est rendus à 1 sur 68. »

Si parler de «trouble» du spectre de l’autisme ou, pire, d’enfant qui «souffre» d’autisme est désormais considéré comme péjoratif, il demeure que la société ne s’est pas suffisamme­nt adaptée à cette différence neurologiq­ue, selon la chercheuse, ce qui entraîne encore une forme de handicap.

«Si je dis à un parent que son enfant autiste est tout simplement différent des enfants dits typiques, il ne va peut-être pas l’accepter, parce que son enfant fait des crises et que c’est effectivem­ent très difficile, explique Mme Soulières. Mais pourquoi fait-il des crises? Car il n’arrive pas à communique­r ses besoins. Or si je prends un enfant francophon­e et que je l’envoie dans une famille qui parle l’arabe ou le mandarin et qu’il n’arrive plus à se faire comprendre, il est fort probable qu’il piquera une crise lui aussi. »

La chercheuse prévoit à avoir du travail pour des années encore, tant il y a du pain sur la planche pour bien comprendre les enfants autistes et optimiser leur plein potentiel cognitif.

Environ 10 % des enfants autistes apprennent à lire par eux-mêmes; ils sont capables de décoder les règles sous-jacentes et réussissen­t très bien les tests de raisonneme­nt Isabelle Soulières, neuropsych­ologue

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MARIA DUBOVA GETTY IMAGES Si certains enfants autistes présentent des retards de langage, ils vont généraleme­nt développer d’autres forces.

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