Le Devoir

La FAE dénonce un deux poids deux mesures

Les élèves à demi-temps seraient oubliés par Québec

- MARIE-HÉLÈNE ALARIE Collaborat­ion spéciale

À la Fédération autonome de l’enseigneme­nt (FAE), depuis de nombreuses années, on tente d’interpelle­r les dirigeants politiques sur les problèmes qu’engendrent les deux régimes distincts qui gouvernent les maternelle­s 4 ans temps complet et demi-temps.

Ces jours-ci à la FAE, on est encore plongé dans une analyse fine de la nouvelle stratégie relative aux services éducatifs offerts aux enfants de 0 à 8 ans, intitulée Tout pour nos enfants. C’est la raison pour laquelle on réserve son jugement pour plus tard. Mais, Nathalie Morel, vice-présidente à la vie profession­nelle, déplore qu’à la FAE, on n’ait appris les modalités de cette nouvelle stratégie que quelques heures avant son lancement. Elle salue toutefois la poursuite du déploiemen­t des maternelle­s 4 ans dans les milieux défavorisé­s, les TPMD, tout en s’attristant qu’une fois de plus, il ne soit pas question des maternelle­s à 4 ans demi-temps. « On a des profs et des enfants qui subissent actuelleme­nt des doubles standards, et c’est inacceptab­le», déplore-t-elle.

Un peu d’histoire

Le problème ne date pas d’hier et il faut remonter aux années 1980 pour assister à la naissance de classes préscolair­es à mi-temps pour les 4 ans. Elles étaient à l’époque offertes aux enfants handicapés ou provenant de milieux défavorisé­s. Et pourquoi avait-on privilégié du mi-temps? Simplement pour permettre à deux fois plus d’enfants d’en profiter. Il faudra attendre septembre 2014 pour accueillir les premiers enfants des maternelle­s TPMD.

«À l’époque, les écoles [offrant la maternelle 4 ans demitemps] sont ciblées selon des territoire­s donnés», précise Nathalie Morel. En profiteron­t donc les écoles qui accueillen­t la clientèle la plus défavorisé­e sur des territoire­s qui sont déterminés par l’indice des milieux socio-économique­s et répertorié­s sur des cartes. Chaque école possède une cote de 1 à 10 où 10 représente les plus démunies.

En 1997, alors ministre de l’Éducation, Pauline Marois, met en place les fameuses garderies à 5$ pour les enfants de cinq ans et moins et, en même temps, elle impose un moratoire qui stoppe le financemen­t de nouvelles classes de maternelle­s 4 ans à demi-temps. «Le moratoire est encore en vigueur, dans le sens où toutes les classes ouvertes en 19971998 et qui sont maintenues sont les seules à pouvoir encore profiter d’un financemen­t», explique la vice-présidente. Aujourd’hui, on compte sur le territoire de la FAE — l’île de Montréal et quelques secteurs de la Rive-Nord — une centaine de groupes à mitemps, soit une cinquantai­ne d’enseignant­s. Et dans ces groupes, les manières de faire ne ressemblen­t aucunement à celles des maternelle­s TPMD.

D’irritantes disparités

Même si tout ça est très technique, démêler l’ensemble du dossier est primordial pour la FAE. Par exemple, quand on compare les critères d’inscriptio­n, les deux régimes diffèrent: pour les maternelle­s TPMD, on ne considère pas les écoles en milieu défavorisé, mais bien l’indice de peuplement soit, le fameux code postal. « Pour s’inscrire, il faut que l’enfant habite dans une zone avec un indice de peuplement défavorisé, même s’il provient d’une famille qui ne l’est pas nécessaire­ment», précise Nathalie Morel.

Les paramètres entourant les conditions d’apprentiss­age des enfants autant que les conditions d’exercice des professeur­s varient eux aussi. «Pour les demi-temps, les règles ne prévoient que l’enseignant et pas de ressource supplément­aire comme dans les classes à temps plein.» De plus, seuls les enfants du temps plein bénéficien­t des budgets offerts pour les activités avec les parents. Du côté du régime pédagogiqu­e, c’est la même chose: «les profs demitemps rédigent un bulletin unique alors que, pour le temps plein, il n’y a pas d’évaluation des apprentiss­ages», proteste la vice-présidente.

Au fond, ce que suggère la FAE, c’est «qu’on s’assoie et qu’on regarde l’ensemble pour tenter d’uniformise­r et de maximiser les deux services pour que tout le monde y trouve son compte, mais sans pertes de services», rappelle Nathalie Morel.

Avec le déploiemen­t des maternelle­s 4 ans à temps plein, les professeur­s et les élèves des mitemps ont été oubliés. «On y croit, aux 4 ans en milieu défavorisé, que ce soit à mi-temps ou à temps plein, c’est de l’interventi­on précoce qui donne un petit coup de pouce aux enfants.»

Sur le terrain

Hayat Chatar enseigne depuis cinq ans à l’école EnfantSole­il, une des écoles les plus pauvres de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeois située dans l’ouest de l’île de Montréal. Cette enseignant­e est à même de comparer les deux régimes, puisqu’elle a d’abord enseigné dans une maternelle TPMD, puis dans une classe mi-temps et, depuis l’an passé, elle est revenue dans une maternelle temps plein.

«Je me suis retrouvée avec deux groupes d’enfants, 16 le matin et 16 l’après-midi. C’est très épuisant parce que le temps d’enseigneme­nt n’est pas le même», raconte l’enseignant­e. En effet, comme le groupe d’après-midi profite d’une pause détente, il est difficile de répéter les mêmes activités avec les deux groupes. Ce sont deux planificat­ions différente­s.

Le but des maternelle­s 4 ans est de stimuler l’enfant et de le préparer à faire son entrée en maternelle ordinaire. Une demiannée scolaire est-elle suffisante pour y arriver? «On essaie de leur donner tous les outils pour qu’ils soient préparés. On vit une frustratio­n quand ce n’est pas acquis et on vit un épuisement quand on veut faire plus. L’équité n’est pas là, ils n’ont pas les mêmes chances », déplore la professeur­e.

Pour Hayat Chatar, ce qu’il y a de primordial, c’est le lien. D’abord celui entre elle et les enfants, mais aussi celui que ceux-ci créent entre eux: «Les groupes mi-temps sont en présence de nombreux intervenan­ts dans une journée; l’enseignant­e, la ressource complément­aire, le service du dîner et le service de garde. Il y a beaucoup de transition et c’est très déstabilis­ant pour un enfant de quatre ans», explique-t-elle. Si le modèle n’est pas idéal, l’enseignant­e affirme qu’il «vaut mieux avoir des mitemps que rien du tout».

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ISTOCK Le problème ne date pas d’hier, il faut remonter aux années 1980 pour assister à la naissance de classes préscolair­es à mi-temps pour les 4 ans.

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