Le Devoir

Il y a 100 ans, les suffragett­es remportaie­nt leur lutte

- CLAUDE LÉVESQUE

L’affaire Harvey Weinstein et la campagne #MeToo ont donné un nouveau souffle au féminisme un peu partout dans le monde, et le Royaume-Uni ne fait pas exception. Les scandales d’inconduite sexuelle y ont complèteme­nt bousculé l’ordre du jour de la Chambre des communes pendant les derniers mois de 2017. Les nouvelles ayant trait au harcèlemen­t, à la violence et aux injustices que les femmes subissent en milieu de travail ont dominé l’actualité pendant cette période. Cela a repris de plus belle après la brève accalmie du temps des Fêtes.

C’est dans ce contexte que survient, en ce début de février, le centenaire de la loi qui a octroyé le droit de vote aux femmes du RoyaumeUni. La coïncidenc­e est sans aucun doute fortuite, mais elle donne un éclat et un relief inattendus à la commémorat­ion de la victoire des suf fragettes.

Cette victoire avait été obtenue de haute lutte. Plusieurs des femmes qui revendiqua­ient

le droit de vote l’ont payé de leur santé, certaines même de leur vie.

Environnem­ent hostile

La campagne pour le droit de vote des femmes britanniqu­es a été longue et ponctuée d’actes de violence. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, l’environnem­ent politique et social au Royaume-Uni était très hostile aux réformes de toutes sortes, et particuliè­rement à celles que réclamaien­t les féministes du temps.

«Aujourd’hui, on porte plus d’intérêt pour le courage démontré dans les campagnes contre le harcèlemen­t et en faveur de l’équité salariale qu’on n’en avait porté à l’époque pour le courage des femmes qui faisaient campagne pour le suffrage. Ces dernières évoluaient dans un environnem­ent différent et plus hostile. Leur lutte a été plus difficile parce qu’elles partaient de zéro. Les campagnes dont on parle aujourd’hui sont beaucoup mieux reçues», croit Diane Atkinson, historienn­e et auteure d’un livre intitulé Rise Up, Women: The Remarquabl­e Lives of the Suffragett­es.

Ce titre, fait remarquer Mme Atkinson, «pourrait s’appliquer aux mouvements qui visent actuelleme­nt à dénoncer le harcèlemen­t sexuel ou l’inégalité dans la rémunérati­on. Bien des gens n’ont que peu entendu parler du fait qu’il y a un siècle, des femmes se sont battues tellement dur, au prix de tant de sacrifices, pour le droit de vote. La coïncidenc­e est heureuse.»

Des unions pour les femmes

Le mouvement en faveur du vote féminin au Royaume-Uni a commencé dès le milieu du XIXe siècle. En 1867, plusieurs organisati­ons locales qui avaient été mises sur pied un peu plus tôt se sont fédérées au sein de l’Union nationale des sociétés pour le suffrage des femmes (National Union of Womens’ Suffrage Societies, NUWSS), une organisati­on dirigée par Millicent Fawcett, activiste féministe issue d’une famille libérale du Suffolk. La méthode prônée était «non conflictue­lle et constituti­onnelle ».

Devant l’absence de progrès réalisé en plus de trois décennies de lutte, une autre féministe célèbre, Emmeline Pankhurst, a fondé, en 1903, l’Union sociale et politique des femmes (Social and Political Womens’ Union, WPSU), qui préconisai­t des méthodes beaucoup plus radicales.

Leurs adversaire­s, dont la plupart des journalist­es du temps, les ont surnommées «suffragett­es» par pure dérision, un terme que les intéressée­s ont décidé de s’approprier.

Les gestes posés par ces militantes allaient de l’interpella­tion sans ménagement d’élus à la Chambre des communes au fait de s’attacher à

des lampadaire­s, de lacérer un tableau à la National Gallery, de lancer des pierres dans des vitres ou d’incendier des bibliothèq­ues, des actions qui leur ont souvent valu d’être arrêtées et incarcérée­s.

Plusieurs d’entre elles ont entrepris des grèves de la faim pour obtenir d’être transférée­s dans les prisons réservées aux prisonnier­s politiques. Les autorités ont ordonné qu’elles soient nourries de force.

Emily Davidson, figure de proue

Le 14 juin 1913, Emily Davison, une suffragett­e déjà connue pour ses actions radicales, s’est précipitée sur la piste de course lors du derby d’Epsom et a été renversée par un cheval. Elle est morte des suites de ses blessures quatre jours plus tard. L’événement a été filmé: les images laissent croire que la dame avait sous-estimé la vitesse des chevaux, qu’elle n’avait donc pas essayé de se suicider. La tragédie a fait l’objet de plusieurs documentai­res et de quelques docu-fictions.

En 1913, l’organisati­on de Millicent Fawcet, de son côté, a organisé la même année une grande marche vers Londres, à partir de toutes des régions du Royaume-Uni. Des milliers de femmes et plusieurs hommes ont participé à ce grand «pèlerinage», souvent sous une pluie de quolibets ou de projectile­s.

L’auteure Jane Robinson, qui a consacré à cet événement un livre intitulé Hearts And Minds: The Untold Story of the Great Pilgrimage and How Women Won the Vote considère comme «l’acte fondateur de la tradition britanniqu­e des manifestat­ions de masse pacifiques».

Discrimina­tion, d’hier à aujourd’hui

Suffragist­es et suffragett­es, deux organisati­ons rivales? À cet égard, les opinions sont partagées. Chose certaine, elles ne s’entendaien­t pas sur les moyens à prendre, mais certaines auteures estiment qu’elles s’entraidaie­nt et se sont avérées jusqu’à un certain point complément­aires.

En février 1918, après une pause forcée par la Première Guerre mondiale, la Loi sur la représenta­tion du peuple a octroyé le droit de vote aux femmes de plus de 30 ans, au moins en partie en signe de reconnaiss­ance pour l’énorme travail accompli pendant le conflit.

Les hommes pouvaient quant à eux voter à partir de l’âge de 21 ans, une discrimina­tion qui n’a été éliminée que dix ans plus tard.

En juillet dernier, des employées féminines de la BBC ont levé le voile sur ce qui semble être une discrimina­tion généralisé­e. L’affaire a fait grand bruit dans les médias, y compris sur les ondes du diffuseur public pris en défaut. Des présentatr­ices ont remis leur démission et des enquêtes ont été instituées.

Dans la foulée de l’affaire Weinstein, qui a éclaté en octobre aux États-Unis, des allégation­s de harcèlemen­t sexuel ont éclaboussé tous les partis politiques du Royaume-Uni. Deux ministres de Theresa May ont démissionn­é. Un ministre du gouverneme­nt local du pays de Galles s’est enlevé la vie après avoir été accusé de harcèlemen­t.

Le dernier scandale en date concerne une soirée de financemen­t à laquelle seuls les hommes étaient invités et où plusieurs d’entre eux en auraient profité pour se livrer à toutes sortes d’attoucheme­nts non désirés sur des hôtesses qu’on avait obligées à porter des jupes très courtes. Un membre travaillis­te de la Chambre des lords a été forcé de renoncer à certaines fonctions après qu’il eut été révélé qu’il avait assisté à cette soirée. On n’aurait peut-être rien su de cette dernière si le Financial Times n’y avait pas envoyé une journalist­e «travaillan­t sous couverture».

L’écart salarial entre les hommes et les femmes s’établissai­t en 2017 à 9,1% en Grande-Bretagne, une tendance qui est certes à la baisse, mais qui témoigne du chemin qui reste à parcourir. Qu’en penseraien­t les suffragett­es?

 ?? WIKICOMMON­S ?? La militante Emmeline Pankhurst est arrêtée devant le palais de Buckingham, à Londres, alors qu’elle tente de remettre une pétition au roi George V, en mai 1914.
WIKICOMMON­S La militante Emmeline Pankhurst est arrêtée devant le palais de Buckingham, à Londres, alors qu’elle tente de remettre une pétition au roi George V, en mai 1914.

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