Une femme fantastique ou quand l’actrice fait le rôle.
Une femme fantastique réitère l’amour de Sebastián Lelio pour les héroïnes surgies des marges
ÀSantiago, Marina aime Orlando et Orlando aime Marina. Il est de trente ans son aîné, mais rien qu’à la manière dont ils se regardent, on ne doute pas un seul instant de la profondeur de leurs sentiments. Puis, le malheur frappe : victime d’une rupture d’anévrisme, Orlando meurt au moment d’être admis à l’urgence. Sortis de l’ancienne vie du défunt, une ex-femme et un fils amers viennent remettre en doute les circonstances du décès, à l’instar de l’hôpital, de la police… Un détail : Marina est une femme trans. Cernée, bafouée, elle doit se défendre. Or, comme l’indique le titre du film de Sebastián Lelio, Marina est Une femme fantastique.
«Le projet a pris forme en deux temps», explique Sebastián Lelio, cinéaste chilien à qui l’on doit le merveilleux
Gloria, ou la renaissance amoureuse d’une femme de 58 ans.
«J’entrevoyais depuis un moment cette prémisse d’un homme qui meurt dans les bras de celle qu’il aime, avec tout ce que cela implique de complications par la suite pour la veuve. En effet, elle doit non seulement composer avec sa peine, mais aussi prévenir la famille du défunt, et il y a là une foule de conflits possibles. Bref, ça me semblait riche, sur le plan dramatique. Pourtant, je n’arrivais pas à dépasser ce point de départ et à mettre en place une vraie histoire. »
Équilibre narratif
Et si l’amoureuse endeuillée était une femme trans, se demanda un jour Sebastián Lelio après avoir mis son scénario de côté. Curieux de nature, le cinéaste entreprit dès lors des recherches minutieuses et multiplia les discussions avec des femmes trans.
Sa rencontre avec Daniela Vega, une coiffeuse et chanteuse ayant un peu joué et caressant le rêve de devenir actrice professionnelle, fut décisive.
«Je suis resté en contact étroit avec Daniela, qui est vite devenue une amie, pendant que je rédigeais le scénario. Tant et si bien que, lorsque je l’ai terminé, j’ai pris conscience que j’avais écrit spécifiquement pour elle le rôle de Marina. »
Une partition magnifique, comme on l’a signalé lors de la première à Berlin, où le film a justement remporté le prix du meilleur scénario. À cet égard, Une femme fantastique impressionne tout particulièrement par sa capacité à être inspirant sans jamais céder aux bons sentiments.
De fait, c’est à un parcours de la combattante que l’on assiste. Confrontée à la mauvaise foi, à l’injustice, à la violence aussi, Marina garde la tête haute, mue par sa passion.
En faire de la beauté
Car Marina, comme son interprète dans la vie, chante. L’entendre, c’est côtoyer le sublime.
«Je crois à l’art qui non seulement fait du bien et aide à vivre, mais qui change les gens et, peut-être, le monde. Dans le cadre du film, j’ai essayé de montrer que toutes ces épreuves et toute cette haine dirigée contre elle, Marina les transcende par le chant et en fait de la beauté.»
Après Gloria, Marina témoigne en outre de la prédilection — et du talent — de Sebastián Lelio pour les héroïnes surgies des marges. Un attrait que ses deux nouveaux films (!) confirment. Le premier, Disobedience, bien reçu au TIFF, conte l’amour interdit entre deux femmes juives. Le second, dont il vient de terminer le tournage, est un remake de Gloria mettant en vedette Julianne Moore.
«Ce n’est pas concerté de ma part de construire mes films autour de premiers rôles féminins forts et, peut-être, différents. C’est ce qui me vient. Les femmes, toutes les femmes, m’inspirent, il faut croire. C’est drôle parce que, récemment, je suis retombé sur mon premier court métrage et c’était quatre personnages, toutes des femmes. Je me suis un peu éloigné de ça avec mes deux premiers longs, mais Gloria m’y a ensuite ramené en agissant comme un révélateur.»
Adéquation poétique
De confier Sebastián Lelio, ce qui se sera avéré le plus marquant pour lui dans l’aventure d’Une femme fantastique, qui soit dit en passant a de bonne chance de gagner l’Oscar du meilleur film en langue étrangère à la barbe de The Square, aura été sa collaboration avec Daniela Vega.
«Dans le film, Marina poursuit son rêve de devenir chanteuse. Dans la vie, devant ma caméra, Daniela réalisait le sien, celui de devenir actrice.
J’en ai pris conscience en tournant la dernière scène et ça m’a un peu chaviré, je l’avoue.»
Ainsi, en une adéquation poétique, le film parle de la naissance d’une artiste en filmant exactement cela. Une femme fantastique, à l’affiche le 16 février.