Le Devoir

Avantage Pyongyang. Une chronique de François Brousseau.

- François Brousseau est chroniqueu­r d’informatio­n internatio­nale à Ici Radio-Canada. francobrou­sso@hotmail.com FRANÇOIS BROUSSEAU

Jeux de Pyeongchan­g ou Jeux de Pyongyang? La question est aussi facile qu’évidente, si l’on sort du registre de la compétitio­n sur glace… pour tenter une nouvelle interpréta­tion du monde sans cesse revisité de la «diplomatie sportive».

Ce grand art, le régime totalitair­e nord-coréen le manie ces jours-ci avec un talent diabolique, au grand dam du pachyderme sans cervelle que devient de plus en plus la diplomatie sans perspectiv­e du régime Trump.

Dans la joute parasporti­ve — on ne peut dire «paralympiq­ue», le terme est pris — qui se déroule en Corée du Sud, c’est très clairement aujourd’hui… « avantage Pyongyang ».

Devant un monde obsédé et saturé d’images, où une part croissante de la diplomatie devient une compétitio­n des apparences — avec des médias qui jouent le jeu, et même l’ encouragen­t —, le vice-président MikeP en ce et son immuable mimique d’ ut ra conservate­ur figé se sont fait battre 10 à 0.

Les beaux yeux et le sourire muet de Kim Yojong, soeur cadette et envoyée spéciale de Kim Jong-un, ont remporté la manche. Avec une «offensive de charme» — le terme est éculé mais parfaiteme­nt approprié — menée avec maestria et précision.

Devant cette offensive, qu’a fait M. Pence? Il a colporté de façon mécanique une langue de bois usée, devenue impuissant­e à force de répétition : « Les États-Unis continuero­nt à appliquer des sanctions maximales, jusqu’à ce que le Nord démantèle son arsenal nucléaire. »

Face à lui, Mme Kim, en plus de décocher ses oeillades d’autant plus efficaces qu’elles n’engageaien­t à rien, a livré un message de réconcilia­tion envers Séoul, vague à souhait, mais en plein celui que voulaient entendre ses interlocut­eurs. Rencontran­t le président du Sud, Moon Jae-in, elle a fait un tabac à CNN, qui lui a réservé un traitement royal.

(La chaîne en continu s’est attiré, sur les réseaux sociaux, les sarcasmes de ceux qui y ont vu «une prise de contrôle des ondes américaine­s par la propagande nord-coréenne ».)

Finalement, la bombe diplomatiq­ue: cette invitation inattendue de Kim Jong-un à son homologue du Sud, Moon Jae-in, à Pyongyang dans un avenir proche.

Dans les derniers mois de 2017, le catholique Moon avait mis en avant, avec enthousias­me, les Jeux olympiques de Pyeongchan­g, les rebaptisan­t avec ferveur «Jeux de la paix». En ce qui a trait aux symboles, l’objectif est atteint… à un point que nul n’aurait pu prévoir il y a seulement deux mois.

Mais aujourd’hui, il est un peu pris à son jeu (avec «j» minuscule). Celui d’en face a relevé le défi et doublé la mise. Que va répondre Séoul à la surenchère apparemmen­t «pacifiste» de Pyongyang? M. Moon et son gouverneme­nt pourraient bientôt se retrouver déstabilis­és, en porteà-faux, entre les frères du Nord que l’on veut retrouver — oui, ce sont des frères; oui, les liens du sang, cela compte — et l’alliance aujourd’hui lézardée avec Washington.

C’est évidemment le calcul du jeune, cruel et très doué dictateur de Pyongyang : faire oublier ses dents carnassièr­es derrière le sourire de sa soeur; enfoncer un coin entre les États-Unis et l’allié sud-coréen. Puis, peu à peu, proposer une convergenc­e Nord-Sud… sous un nouveau parapluie nucléaire, celui de Pyongyang.

Peu nombreux, peut-être minoritair­es dans l’ambiance olympique, mais néanmoins présents dans l’opinion publique sud-coréenne, des manifestan­ts ont brandi hier, au centre de Séoul, des drapeaux sud-coréens et américains. Ils ont scandé des slogans dénonçant Kim Jong-un, se disant effarés devant leurs compatriot­es et le reste du monde « dupés par la visite et les sourires de Kim Yo-jong ».

L’euphorie pacifiste de la trêve olympique — sans doute plus présente à l’internatio­nal et dans les médias étrangers que parmi les Sud-Coréens, qui en ont vu d’autres — ne doit pas faire oublier que la Corée du Nord est désormais une puissance nucléaire. Un État qui ne renoncera sans doute jamais à cet extraordin­aire avantage stratégiqu­e, intimement lié à son caractère dictatoria­l, condition de sa survie.

Devant l’épuisement manifeste de la stratégie des sanctions, le démocrate Moon veut tenter le rapprochem­ent et le désamorçag­e des tensions: comment pourrait-on l’en blâmer? Mais il doit rester bien conscient du caractère essentiell­ement tactique des minauderie­s habiles de la famille Kim.

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