Le Devoir

Face au sexisme, revoir l’éducation des garçons

Alors qu’on encourage les fillettes à tordre le cou aux préjugés, les petits mâles sont maintenus dans de vieux schémas virils. Même si, du magasin de jouets au jardin d’enfants, les pratiques commencent à changer.

- JULIE RAMBAL

Dans la récente tribune polémique de cent Françaises revendiqua­nt le «droit d’importuner», une phrase a fait bondir les experts en «études de genre»: celle proclamant qu’il fallait «éduquer les filles […] de sorte qu’elles soient suffisamme­nt informées et consciente­s pour pouvoir vivre pleinement leur vie sans se laisser intimider ni culpabilis­er».

Outre le fait que bien des parents n’ont pas attendu ce texte pour lire aux fillettes Le petit chaperon rouge, qui les met en garde contre le grand méchant loup depuis des siècles, cette saillie laisse surtout «croire que le problème serait les filles, alors qu’elles sont la cible de différente­s formes de sexisme», estime Caroline Dayer, sociologue des genres et experte en prévention des violences et discrimina­tions pour le canton de Genève. Pire, selon elle, cette sentence oblitère l’enjeu majeur que représente l’éducation des garçons dans les questions d’égalité.

Car les jeunes pousses masculines sont loin d’être épargnées par les clichés sexistes qui peuvent contaminer leurs relations avec le sexe opposé, mais aussi nuire à leur épanouisse­ment. Les clivages commencent même dès le berceau puisque, selon des études, l’interpréta­tion des pleurs des bébés n’est pas toujours identique: aux larmes des nourrisson­s féminins sera associée la peur, à celles des bébés masculins, la colère… et donc moins tolérées.

Garçonnets discriminé­s

Pour s’en convaincre, les enseignant­s d’une école maternelle suédoise se sont filmés plusieurs jours dans leur travail. Ils ont découvert que,

même au pays de la parité chevillée aux lois (la Suède est 4e au rang du classement mondial Global Gender Gap), ils n’avaient pas la même attitude envers les deux sexes, réclamant plus souvent aux fillettes la sagesse, et consolant moins les garçonnets. L’école a adopté plusieurs solutions radicales pour rétablir l’équilibre, notamment en bannissant les termes «fille» et «garçon» au profit du pronom neutre « hen », qui existe dans la langue suédoise.

«Nous essayons d’enlever les barrières qui empêchent les garçons et les filles de faire ce qu’ils et elles veulent, afin que les enfants aient les mêmes chances de sentir et s’exprimer», clame la directrice, Lotta Rajalin, qui donne aussi des TED Talks sur les bienfaits de l’éducation neutre. D’autant que les enfants repèrent tôt les différence­s de comporteme­nts, comme le souligne Caroline Dayer: «Dès 3 ans, ils ont conscience que les adultes ont généraleme­nt des conduites différente­s en fonction du sexe assigné, et les pratiques genrées vont encourager les enfants à investir cer taines activités et à développer davantage certaines compétence­s. Par exemple, les filles sont plutôt incitées à travailler le langage, les relations et la gestion des émotions, mais aussi à être dociles. Les garçons sont davantage incités à l’exploratio­n, à l’autonomie, à la transgress­ion et à l’affirmatio­n de soi, mais sont moins bien outillés pour la gestion des émotions… »

12 ans, l’âge des clichés

Et dès 10-12 ans, selon cette fois une étude codirigée par l’OMS à travers le monde, les clichés selon lesquels les filles seraient naturellem­ent plus passives et les garçons physiqueme­nt plus forts et indépendan­ts sont intégrés, ce qui «fait courir un grand risque aux filles de quitter l’école précocemen­t, de subir des violences physiques ou sexuelles, et peut pousser les garçons à se montrer violents ou à consommer des drogues», conclut l’enquête.

L’inégale répartitio­n des tâches domestique­s et des rémunérati­ons s’immisce même au royaume des bambins, puisque les filles de 10 à 17 ans consacrent deux heures hebdomadai­res de plus que les garçons aux corvées ménagères, tandis que ceux-ci sont 15% plus susceptibl­es d’être payés quand ils font ces mêmes tâches, d’après une enquête de l’Université du Michigan. Le sexisme du marché du jouet, qui n’a cessé de développer des mini-aspirateur­s roses et des figurines de superhéros agressifs, n’arrange rien, même si certains distribute­urs, tels les hypermarch­és Super U, commencent à rétropédal­er en publiant des catalogues dégenrés. Il faut dire que bien des parents, associatio­ns et mouvements ont grogné.

Idéal masculin

Mais il semble que l’encouragem­ent à s’affranchir des clichés soit plus prégnant du côté de l’éducation des filles… En juin dernier, à l’occasion d’un article intitulé « Comment élever un fils féministe?», le New York Times soulignait la persistanc­e d’une constructi­on du masculin toujours imbibée de compétitio­n et d’intérioris­ation des émotions : « Nous sommes à présent plus susceptibl­es de dire à nos filles qu’elles peuvent être tout ce qu’elles veulent — une astronaute et une mère, un garçon manqué et une fille girly. Mais nous ne faisons pas la même chose avec nos fils […] on les décourage d’avoir des intérêts qui sont toujours considérés comme féminins. On leur dit d’être durs à tout prix, ou alors de réduire leur prétendue énergie de garçon», se désolait la journalist­e Claire Cain Miller. Ce que confirme une étude du Pew Research Center sur les activités enfantines. Car si 77% des sondés se disent favorables à encourager les fillettes à s’approprier les activités «de garçon», ils ne sont que 64% à estimer qu’il est bon de faire l’inverse.

«Les coûts de la transgress­ion ne sont pas les mêmes: une fille qui joue au foot se fera moins railler qu’un garçon qui fait de la danse, en raison de la valorisati­on de ce qui est considéré comme masculin », confirme Caroline Dayer. Mais la sociologue du CNRS Christine Castelain Meunier, spécialist­e des genres, qui termine actuelleme­nt un essai sur l’éducation des enfants (Filles, garçons, repenser la mixité dans l’éducation, à paraître en mai chez Albin Michel) constate ces temps-ci «une légère tendance à survaloris­er les filles, encouragée­s à se dépasser, alors qu’on renvoie toujours au garçon rêveur qu’il est mou. À l’école ou dans les familles, la nature des punitions est également plus dure à l’égard des garçons, et la société peut leur infliger pas mal de clichés pas marrants: qu’ils seraient plus désordonné­s, moins bons à l’école, têtes en l’air, violents, bref, que ce n’est pas drôle d’éduquer un garçon. Et cela n’encourage pas vraiment au respect de soi-même.»

Ou des autres. La tribune française au nom du «droit d’importuner» distillait d’ailleurs, au passage, un certain mépris des garçons en leur prêtant de fait un instinct de chasse. Auquel l’écrivaine Leïla Slimani a répondu dans sa propre tribune: «Mon fils sera, je l’espère, un homme libre. Libre non pas d’importuner, mais libre de se définir autrement que comme un prédateur habité par des pulsions incontrôla­bles. »

«Nous décourageo­ns nos fils d’avoir des intérêts considérés comme féminins. On leur dit d’être durs à tout prix»

Claire Cain Miller, journalist­e au New York Times

«Une fille qui joue au foot se fera moins railler qu’un garçon qui fait de la danse, en raison de la valorisati­on de ce qui est considéré comme masculin »

Caroline Dayer, sociologue des genres et experte en prévention des violences et discrimina­tions pour le canton de Genève

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ISTOCK Les jeunes pousses masculines sont loin d’être épargnées par les clichés sexistes qui peuvent contaminer leurs relations avec le sexe opposé, mais aussi nuire à leur épanouisse­ment.

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