Le Devoir

« On ne naît pas sexiste, on le devient »

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Sébastien Chauvin, sociologue des genres à l’Université de Lausanne, revient sur l’enjeu de l’éducation des garçons pour abolir les clichés.

En quoi l’éducation des garçons peut-elle éviter des mouvements comme #MeToo?

Une des grandes raisons du sexisme dénoncé par #MeToo est que les hommes sont longtemps restés dans des clubs d’hommes : des univers masculins ségrégués dans lesquels on apprend à mépriser le féminin. C’est d’ailleurs ce qui vient d’arriver en Angleterre, avec la soirée caritative ne regroupant que des hommes de l’élite économique, où les participan­ts ont harcelé les hôtesses, notamment par des attoucheme­nts. Mais on ne naît pas sexiste, on le devient. À un jeune âge, filles et garçons sont très ouverts, et une partie des comporteme­nts sexistes est le produit de l’absence de modèles masculins pluriels, avec une persistanc­e du modèle de l’homme dominant, viril, opposé à l’homme faible ou associé au féminin. Mais dès qu’on grandit dans des univers éducatifs mixtes, avec des jeux et interactio­ns mixtes, on est notamment moins susceptibl­e d’acquérir une notion de la sexualité comme une prise de pouvoir asymétriqu­e sur autrui.

L’éducation des garçons à l’égalité est-elle à la traîne par rapport à celle des filles?

L’éducation à l’égalité de genre s’est d’abord focalisée sur l’empowermen­t des filles. Par exemple, la journée «Oser tous les métiers» (en Suisse), qui permet aux enfants de découvrir des métiers hors de tout cliché sexiste, fut d’abord la «journée des filles», durant laquelle on leur faisait découvrir le métier de leur père, des métiers «masculins». La prise de conscience qu’il fallait aussi montrer aux garçons des métiers «féminins» a été plus tardive. C’est une entreprise plus difficile, car le masculin se construit encore beaucoup dans le rejet du féminin. Pour les petits garçons, le féminin est «contagieux», alors que ce n’est pas le cas pour le masculin auprès des filles.

C’est-à-dire?

Les parents offrent par exemple plus d’albums avec des héros masculins à leur fille que l’inverse. L’éventail vestimenta­ire est également plus large pour les filles que pour les garçons, où certaines couleurs demeurent taboues. Les parents se montrent aussi plus réticents à offrir une poupée Wonder Woman à un fils qu’un Batman à une fille. Même quand on se croit moderne, on se demande ce que penseront les voisins, les amis… On ose toujours moins enfreindre les normes de genre pour un fils, avec la crainte confuse qu’il devienne «efféminé» ou qu’il pratique plus tard une sexualité redoutée. Et pourtant, les études démontrent une capacité des garçons à jouer avec des «jeux de fille» beaucoup plus grande que ce qui est fait. Mais là aussi, ils le font moins devant d’autres garçons, il y a une censure par les pairs. Et plus on introduit de la mixité, moins cela est vrai. Le sexisme vient aussi de la croyance qu’il n’y a pas d’autre façon possible d’être un garçon…

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