Aveu d’indifférence
Le haïssable président philippin, Rodrigo Duterte, a peutêtre tiré une épine du pied du gouvernement Trudeau en décidant de son propre chef de faire annuler le contrat d’achat de 16 hélicoptères fabriqués au Canada. Toute cette histoire n’en égratigne pas moins sérieusement l’image libérale, surlignant à gros traits la superficialité et l’inconsistance de ce gouvernement quand vient le temps, au-delà des beaux discours, de défendre concrètement les droits de la personne.
Les hélicoptères fabriqués par Bell Helicopter à Mirabel allaient être utilisés à des fins de recherche et de sauvetage en vertu de l’entente signée sous les conservateurs en 2012. Mais, ô surprise, un haut gradé du régime Duterte a laissé échapper mardi dernier que les appareils serviraient en fait à des fins militaires… Dès le lendemain, les libéraux ont cherché peu subtilement à se rattraper en annonçant qu’ils réviseraient la vente.
Annulant l’entente, Duterte a enfoncé le clou en déclarant qu’il coulait de source que les hélicoptères allaient servir à «achever […] les rebelles et les terroristes». Qui ne le soupçonnait pas déjà ? C’est d’une telle évidence que le gouvernement canadien est particulièrement coupable d’avoir fermé les yeux, comme l’idée que se fait M. Duterte «des rebelles et des terroristes» ne pèche pas par excès de nuance.
Arrivé au pouvoir en 2016, l’homme n’a cessé de museler la dissidence. Il faut qu’Ottawa ait vraiment décidé de jouer à l’autruche pour faire l’impasse sur le fait que la «guerre contre la drogue» de M. Duterte a coûté la vie, selon Human Rights Watch, à quelque 12 000 trafiquants et usagers présumés, éliminés par la police et des bandes armées sans autre forme de procès. L’irresponsabilité d’Ottawa est d’autant plus criante que la Cour pénale internationale vient d’ouvrir une enquête sur des allégations de crimes contre l’humanité commis dans la foulée des politiques répressives appliquées par le régime Duterte.
Après le scandale des véhicules blindés vendus à Riyad (un contrat qui tient toujours), voici maintenant celui des hélicoptères. Ce que ces histoires mettent en évidence, ce sont aussi les failles béantes de la loi et des procédures de vérification bureaucratique et politique des contrats. Dans l’ordre actuel des choses, il suffit, pour contourner les exigences de respect des droits de la personne, que le client donne sa parole que les équipements qu’il convoite ne seront pas utilisés à des fins militaires. C’est aussi absurde qu’insuffisant.
Écartant le contrat canadien, M. Duterte a déclaré que «d’une façon ou d’une autre, nous trouverons un autre fournisseur». C’est dire tout le tragique de la situation: la complaisance des gouvernements en cette matière est à peu près universelle.