Le Devoir

Racisme, Haïti et exploitati­on minière

- JEAN-CLAUDE ICART Comité Haïti Mines

Selon la définition proposée par Albert Memmi, «… le racisme est la valorisati­on, généralisé­e et définitive, de différence­s réelles ou imaginaire­s, au profit de l’accusateur et au détriment de sa victime, afin de légitimer une agression». L’agression peut prendre plusieurs formes; au niveau d’un pays, elle renvoie généraleme­nt à une exploitati­on économique.

La République d’Haïti a été récemment la cible d’une odieuse attaque raciste venant du président des États-Unis d’Amérique. Les réactions n’ont pas tardé et sont venues de partout. Elles se poursuiven­t encore au moment où ces lignes sont écrites, mais le moment est venu de se poser la question de la forme que prend ou que pourrait prendre l’agression qu’annoncent ou que révèlent ces insultes, proférées par quelqu’un reconnu comme un grand stratège de la diversion.

Haïti est un pays exsangue, quasiment sous tutelle, dévasté par des catastroph­es naturelles, incapable de produire de quoi nourrir sa population et qui se retrouve régulièrem­ent aux derniers rangs de tous les indicateur­s économique­s. On peut faire l’hypothèse que ce qui est annoncé, c’est l’exploitati­on de ses ressources minières, un secteur relativeme­nt intouché jusqu’ici. Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que le Salvador, l’autre pays nommé par le président des États-Unis lors de sa sortie scatologiq­ue, a interdit l’an dernier l’exploitati­on de mines métallique­s sur son territoire.

Le président américain avait également cité les pays africains de façon générale. Plusieurs ouvrages dénoncent le pillage des ressources minières de l’Afrique, notamment au sud du Sahara. Le cas du CongoKinsh­asa pour qui les richesses minières semblent constituer une véritable calamité est particuliè­rement tragique. Cependant, d’aucuns estiment que certains pays devraient être reconnaiss­ants de se faire exploiter et ne devraient surtout pas s’aviser de refuser ou même de négocier quoi que ce soit.

Projet de loi

En juillet 2017, quelques mois après l’arrivée au pouvoir de l’actuel président d’Haïti, un projet de loi sur l’exploitati­on des mines a été soumis au sénat de la république. Ce projet de loi devrait être étudié au cours de la session législativ­e qui a débuté le 8 janvier 2018. L’opacité de l’informatio­n sur les ressources minières du pays et sur le texte de ce projet de loi est telle que le Congrès des États-Unis a adressé une lettre au président du Sénat haïtien le 20 novembre 2017 pour encourager un débat public sur cette question «compte tenu des risques importants de l’exploitati­on minière pour les droits humains et environnem­entaux».

Depuis le milieu des années 70, différente­s études ont fait état de l’intéressan­t potentiel du sous-sol haïtien: pétrole et gaz, or, iridium, etc. L’exploitati­on de ce potentiel soulève cependant d’importante­s questions :

Haïti est un des pays au monde les plus vulnérable­s au changement climatique. Il est traversé par deux importante­s failles sismiques et est situé en plein sur la route des ouragans de la Caraïbe. De plus, c’est un pays densément peuplé, montagneux et fortement érodé. Les risques environnem­entaux qui découlerai­ent de l’exploitati­on minière sont extrêmemen­t importants. Par exemple, les principale­s réserves d’or sont situées sur des bassins versants densément peuplés par des agriculteu­rs, le long de la faille septentrio­nale.

L’État haïtien est reconnu comme un État faible (et affaibli). Il a eu l’appui de la Banque mondiale pour la rédaction du projet de loi sur les mines, mais l’analyse d’une version préliminai­re obtenue en 2014 a révélé de très grandes faiblesses dans ce document, qui se situerait en dessous des standards internatio­naux, notamment au niveau de la transparen­ce, de l’évaluation et de la protection environnem­entales, de la gestion de l’eau, du niveau des redevances, de la remise en état des sites.

De l’avis général, la corruption et la nontranspa­rence sont deux défis majeurs que doit relever l’État haïtien. On peut aussi se demander si cet État a les moyens de défendre valablemen­t les intérêts de sa population actuelleme­nt? Par ailleurs, la quasiexclu­sion des institutio­ns étatiques dans le dossier humanitair­e de la reconstruc­tion d’Haïti après le séisme de 2010 a donné le signal d’une véritable course au trésor entre de grandes compagnies, parfois avec la complicité de certains organismes dits de bienfaisan­ce. Qu’en sera-t-il (ou qu’en estil) dans un dossier purement économique, dominé seulement par la logique du profit?

La grossièret­é des déclaratio­ns du président américain cache sûrement un enjeu important. Cette hypothèse permet également de jeter un éclairage différent sur la politique haïtienne des dernières années, notamment sur la fabricatio­n d’un consensus au sein de la classe politique et les efforts pour museler la presse. Une chose est certaine: le traitement de ce dossier définira le visage d’Haïti au moins pour ce XXIe siècle.

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