Le Devoir

Dans la valise du premier ministre

- LOUISE BEAUDOIN

En préparatio­n de la vingtième rencontre alternée entre les premiers ministres français et québécois, qui se déroulera en France en mars, Philippe Couillard devra mettre dans ses bagages beaucoup plus que quelques dossiers courants, étant donné le risque d’étiolement de la relation politique franco-québécoise.

Ces rencontres alternées, instaurées en 1977 par René Lévesque et Raymond Barre, confèrent une dimension extraordin­aire à la relation politique entre la France et le Québec, féconde depuis Jean Lesage, l’artisan, avec Georges-Émile Lapalme, des «retrouvail­les». Ou, encore, Daniel Johnson père qui, avec Alain Peyrefitte, signera en 1967 un important accord portant sur l’éducation et créant l’Office franco-québécois pour la jeunesse. Ces rencontres donnent aux dirigeants de part et d’autre de l’Atlantique l’occasion d’«arrimer» nos sociétés, tantôt par des accords de coopératio­n, tantôt par des alliances stratégiqu­es, comme celle conclue par Lucien Bouchard et Lionel Jospin en 1998, qui favorisera l’adoption, par l’UNESCO, de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expression­s culturelle­s.

Chez les indépendan­tistes, dans les années précédant le référendum de 1995, cette relation politique revêtira un caractère hors du commun parce que la question de la reconnaiss­ance d’un éventuel Québec souverain sera posée à la France. La rencontre de Jacques Parizeau, alors chef de l’opposition, avec François Mitterrand, en 1993, sera à cet égard déterminan­te.

Le premier défi de Philippe Couillard consiste à raviver la flamme, puisque le gouverneme­nt d’Édouard Philippe compte peu de ministres influents qui connaissen­t vraiment le Québec et sont, par conséquent, attachés viscéralem­ent à cette dimension de notre relation.

Son deuxième défi concerne directemen­t Emmanuel Macron, qui est, de tous les présidents français depuis de Gaulle, celui qui connaît le moins le Québec. Alors qu’il est ministre de l’Économie, en 2015, il accueille une délégation par ces mots stupéfiant­s: «vous, les Québécois, qui êtes des Anglo-Saxons parlant français… ».

Ainsi, Philippe Couillard devrait placer dans sa valise quelques essais, dont ceux de Mathieu Bock-Côté, de Jacques Beauchemin, de Gérard Bouchard et de Jocelyn Maclure, afin d’équilibrer l’apprentiss­age. Sans oublier le Dictionnai­re amoureux du Québec de Denise Bombardier. Grand lecteur, le président Macron pourrait entretenir une relation littéraire avec le Québec, comme Mitterrand avant lui (qui s’était pris de passion pour les romans d’Anne Hébert et les chansons d’Édith Butler, qui lui rappelaien­t sa Charente natale) ou encore Michel Rocard (qui s’intéressai­t à l’oeuvre de Michel Tremblay). Aujourd’hui, Une réunion près de la mer, de Marie-Claire Blais, L’énigme du retour, de Dany Laferrière, ou encore La fiancée américaine, d’Éric Dupont, trouveraie­nt une place de choix dans la liste des cadeaux diplomatiq­ues offerts au président.

Philippe Couillard devrait aussi communique­r à son interlocut­eur l’adresse URL du Grand dictionnai­re terminolog­ique du Québec, dans lequel le président, qui manie si bien notre langue, trouvera tous les mots pour exprimer toutes les réalités, y compris économique­s et technologi­ques. Il pourra enfin se débarrasse­r de sa manie d’utiliser des termes anglais en maintes occasions, comme au «One Planet Summit » qui se tenait récemment à Paris. Vingt-huit minutes de discours où le français n’est qu’un liant entre les engagement­s exprimés en anglais: Climate Smart Zone, Desert Power Initiative, One Planet Coalition, etc. Une anomalie qu’a bien notée Libération : sur la scène internatio­nale, sous l’impulsion de Macron, « France is back, French is out ». Quel message envoie-t-il ainsi à tous les francophon­es de la planète ?

En 2016, lors de la visite au Québec du premier ministre Valls, Philippe Couillard avouait qu’il y avait un «pépin» avec la reconnaiss­ance mutuelle des qualificat­ions profession­nelles, vaste chantier lancé par Jean Charest. Le problème demeure entier. C’est le moment, à l’occasion de cette visite officielle, de le régler. L’entente entre les vétérinair­es n’est pas signée et il faut rendre opérationn­elles celles entre médecins, dentistes, pharmacien­s et ingénieurs. Ces dernières demeurent bloquées par des ordres profession­nels québécois qui font preuve d’excès de corporatis­me.

Dernière chose avant de boucler la valise: l’album Sans attendre, de Céline Dion. Fan endeuillé de Johnny Hallyday, Emmanuel Macron sera reconnaiss­ant qu’on lui rappelle que son idole y chantait, en duo avec la diva, L’amour peut prendre froid. Et que cela vaut pour celui entre la France et le Québec.

Le grand défi de M. Couillard consistera à raviver la flamme de la relation francoquéb­écoise

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