Le Devoir

Le jour du jugement

Les maudites évaluation­s subjective­s

- STÉPHANE BAILLARGEO­N

Bravo et dommage. Après l’or à Sotchi, Justine Dufour-Lapointe a remporté l’argent à Pyeongchan­g dans l’épreuve des bosses. Les juges lui ont accordé une note de 75,56, un mince déficit de 9 centièmes par rapport à la Française Perrine Laffont.

Bravo et dommage. C’est-à-dire, bravo pour la médaille et dommage d’avoir raté la plus haute marche du podium de si peu.

Neuf centièmes… Ce serait déjà très peu pour n’importe quelle épreuve de vitesse sur piste, sur neige ou dans l’eau. Mais en ski acrobatiqu­e sur bosses, que veulent dire ces fractions de points?

Franchemen­t, la subtilité de ces évaluation­s échappe au commun des (télé)spectateur­s. L’épreuve demeure indéniable­ment spectacula­ire. Les skieuses ont l’air de chaises à ressorts (bing, bing, bing) et, une fois l’arche d’arrivée franchie, elles se déplient, s’étirent et s’agitent comme des polichinel­les sortis d’une boîte comprimant­e.

Démarquer les pires des meilleurs athlètes tient toutefois d’une mécanique assez ésotérique. La qualité des virages entre les bosses compte pour 60% de la note, celle des deux figures acrobatiqu­es obligatoir­es pour 20%. Le temps du parcours, seul critère objectif, pour les 20% restants.

La contrainte se répète dans quatre des cinq épreuves de ski acrobatiqu­e. Le manuel de la Fédération internatio­nale de ski comprend 36 pages de schémas et d’explicatio­ns, où il est question du contrôle, de la vitesse, de la hauteur, des mouvements des jambes et des bras avec des pointages à la décimale devant être attribués sur le coup pour des figures exécutées à des vitesses stupéfiant­es.

Alors neuf centièmes…

L’intelligen­ce artificiel­le à la rescousse

La devise olympique du plus vite, plus haut, plus fort vaut pour les performanc­es qui se mesurent objectivem­ent, même si certains sports traditionn­els, comme la boxe, font exception.

Plusieurs compétitio­ns (dont les bosses) ajoutées au cours du dernier quart de siècle ont plutôt recours aux évaluation­s subjective­s pour déterminer les classement­s. C’est aussi le cas du big air, nouvelle épreuve pour riders intronisée en Corée.

Cette pratique de l’évaluation par des juges plutôt que par des chronomètr­es ou des rubans à mesurer ouvre la porte à la magouille, comme le montre l’histoire du patinage artistique. Le seul fait d’exiger des heures de concentrat­ion extrême appliquées à des dizaines de concurrent­s de la part de juges humains, trop humains, laisse perplexe. Une prime à la réputation a même été détectée par une étude universita­ire : être une star de sa discipline semble un peu gonfler automatiqu­ement son pointage.

Ces défauts majeurs seront vraisembla­blement soufflés d’un coup assez prochainem­ent grâce à l’intelligen­ce artificiel­le. Le jugement assisté par ordinateur permettra d’évaluer sur des bases assez objectives la hauteur des sauts, la position des membres ou la maîtrise de la réception.

Les spectateur­s pourront même suivre le pointage donné en temps réels par les machines au fur et à mesure du déroulemen­t de chacune des performanc­es, comme des montres mesurent la progressio­n des courses.

La Fédération internatio­nale de gymnastiqu­e songe à utiliser ces nouveaux systèmes à Tokyo en 2020 en appui aux juges. Bravo, mais dommage qu’on n’y soit pas encore à Pyeongchan­g.

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