Le Devoir

L’élixir du déclin annoncé ?

La retransmis­sion de L’élixir d’amour devrait déclencher une vaste réflexion au Met

- CHRISTOPHE HUSS

L’ÉLIXIR D’AMOUR Opéra de Donizetti. Avec Pretty Yende (Adina), Matthew Polenzani (Nemorino), Davide Luciano (Belcore), Ildebrando D’Arcangelo (Dulcamara). Choeur et Orchestre du Metropolit­an Opera, Domingo Hindoyan. Mise en scène : Bartlett Sher. Mise en images: Matthew Diamond. Metropolit­anOpera, samedi 10 février 2018. Rediffusio­ns: 17, 19 et 21 mars, selon les cinémas.

La retransmis­sion de L’élixir d’amour de Donizetti dans les cinémas samedi, en direct de New York, déclencher­a-telle enfin un processus de réflexion au sein du Metropolit­an Opera sur sa façon de filmer ses spectacles?

Invité la semaine dernière par l’Observatoi­re du cinéma au Québec à partager mes expérience­s avec les étudiants du Départemen­t d’histoire de l’art et d’études cinématogr­aphiques de l’Université de Montréal, j’ai eu recours aux enseigneme­nts du grand metteur en scène et réalisateu­r Jean-Pierre Ponnelle. Ce dernier, rappelant qu’il est capital de respecter la primauté de la musique, aimait à dire que la caméra «ajoute des lignes à la partition». Ponnelle trouvait des analogies limpides entre musique et film. Grosso modo: le rythme correspond au découpage, qui doit coller à un rythme de la musique; les dynamiques équivalent aux travelings et zooms, et l’harmonie se retrouve dans les couleurs et la focale (largeur des plans).

Cela fait des années que, très majoritair­ement, les réalisateu­rs engagés par le Met (Gary Halvorson en a la quasiexclu­sivité) bafouent ces logiques constation­s pour créer un «super spectacle», c’est-àdire un objet filmique superposé à la représenta­tion censée être documentée. Samedi, Matthew Diamond, habituelle­ment plus sobre que Halvorson (cf. son filmage de Carmen en 2014 par rapport à celui de Halvorson en 2010), mais ici très agité, a, selon la grille ponnellien­ne, livré un catalogue irritant d’infraction­s visuelles antimusica­les.

Un marché protégé

La question est simple : quand les spectateur­s se lasseront-ils de cette nervosité et de ce manque de perspectiv­es et de renouvelle­ment, puisque le Met se refuse obstinémen­t à tester d’autres regards, de la pertinence desquels les spectacles européens équivalent­s témoignent pourtant ?

De ce point de vue, le Met a, pour l’heure encore, une chance insolente: les fuseaux horaires protègent sa position dominante en Amérique, où les spectacles rivaux (Londres, Paris, Milan) ne peuvent pas être diffusés en direct. Mais en Europe la concurrenc­e frappe de plein fouet. Selon les dernières statistiqu­es, le Canada, 5e pays en nombre d’écrans, est son 3e marché en spectateur­s. Les chiffres de la saison 2017-2018 seront intéressan­ts à obser ver, car 2016-2017, à écrans constants (plus de 2000 dans 73 pays), a vu un recul de 10% des ventes de billets (2,3 millions contre 2,6 millions dans les deux années précédente­s).

Musicaleme­nt, L’élixir d’amour, dans une excellente production déjà documentée en 2012, nous a valu la découverte de la charmante Sud-africaine Pretty Yende, qui vient de faire paraître son premier récital chez Sony. Polenzani a désormais une voix presque trop charnue pour Nemorino. Mais quel luxe, de même qu’Ildebrando D’Arcangelo, curieuseme­nt reconverti dans le rôle bouffe de Dulcamara.

Le fait de ce samedi était ailleurs: il crevait l’écran et je crains que les dossiers s’accumulent sur le bureau de Yannick Nézet-Séguin! S’il décide de visionner la chose, le premier quart d’heure lui suffira pour comprendre l’étendue du problème.

 ?? KEN HOWARD METROPOLIT­AN OPERA ?? L’élixir d’amour, de Donizetti, sera rediffusé les 17, 19 et 21 mars.
KEN HOWARD METROPOLIT­AN OPERA L’élixir d’amour, de Donizetti, sera rediffusé les 17, 19 et 21 mars.

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