L’élixir du déclin annoncé ?
La retransmission de L’élixir d’amour devrait déclencher une vaste réflexion au Met
L’ÉLIXIR D’AMOUR Opéra de Donizetti. Avec Pretty Yende (Adina), Matthew Polenzani (Nemorino), Davide Luciano (Belcore), Ildebrando D’Arcangelo (Dulcamara). Choeur et Orchestre du Metropolitan Opera, Domingo Hindoyan. Mise en scène : Bartlett Sher. Mise en images: Matthew Diamond. MetropolitanOpera, samedi 10 février 2018. Rediffusions: 17, 19 et 21 mars, selon les cinémas.
La retransmission de L’élixir d’amour de Donizetti dans les cinémas samedi, en direct de New York, déclenchera-telle enfin un processus de réflexion au sein du Metropolitan Opera sur sa façon de filmer ses spectacles?
Invité la semaine dernière par l’Observatoire du cinéma au Québec à partager mes expériences avec les étudiants du Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’Université de Montréal, j’ai eu recours aux enseignements du grand metteur en scène et réalisateur Jean-Pierre Ponnelle. Ce dernier, rappelant qu’il est capital de respecter la primauté de la musique, aimait à dire que la caméra «ajoute des lignes à la partition». Ponnelle trouvait des analogies limpides entre musique et film. Grosso modo: le rythme correspond au découpage, qui doit coller à un rythme de la musique; les dynamiques équivalent aux travelings et zooms, et l’harmonie se retrouve dans les couleurs et la focale (largeur des plans).
Cela fait des années que, très majoritairement, les réalisateurs engagés par le Met (Gary Halvorson en a la quasiexclusivité) bafouent ces logiques constations pour créer un «super spectacle», c’est-àdire un objet filmique superposé à la représentation censée être documentée. Samedi, Matthew Diamond, habituellement plus sobre que Halvorson (cf. son filmage de Carmen en 2014 par rapport à celui de Halvorson en 2010), mais ici très agité, a, selon la grille ponnellienne, livré un catalogue irritant d’infractions visuelles antimusicales.
Un marché protégé
La question est simple : quand les spectateurs se lasseront-ils de cette nervosité et de ce manque de perspectives et de renouvellement, puisque le Met se refuse obstinément à tester d’autres regards, de la pertinence desquels les spectacles européens équivalents témoignent pourtant ?
De ce point de vue, le Met a, pour l’heure encore, une chance insolente: les fuseaux horaires protègent sa position dominante en Amérique, où les spectacles rivaux (Londres, Paris, Milan) ne peuvent pas être diffusés en direct. Mais en Europe la concurrence frappe de plein fouet. Selon les dernières statistiques, le Canada, 5e pays en nombre d’écrans, est son 3e marché en spectateurs. Les chiffres de la saison 2017-2018 seront intéressants à obser ver, car 2016-2017, à écrans constants (plus de 2000 dans 73 pays), a vu un recul de 10% des ventes de billets (2,3 millions contre 2,6 millions dans les deux années précédentes).
Musicalement, L’élixir d’amour, dans une excellente production déjà documentée en 2012, nous a valu la découverte de la charmante Sud-africaine Pretty Yende, qui vient de faire paraître son premier récital chez Sony. Polenzani a désormais une voix presque trop charnue pour Nemorino. Mais quel luxe, de même qu’Ildebrando D’Arcangelo, curieusement reconverti dans le rôle bouffe de Dulcamara.
Le fait de ce samedi était ailleurs: il crevait l’écran et je crains que les dossiers s’accumulent sur le bureau de Yannick Nézet-Séguin! S’il décide de visionner la chose, le premier quart d’heure lui suffira pour comprendre l’étendue du problème.