Le Devoir

« Hidden Dimensions » et « NAscent » à la SAT : univers parallèles

Deux oeuvres pour nous faire entendre l’immensité

- PHILIPPE RENAUD

Jusqu’au 23 février, la Société des arts technologi­ques (SAT) présente un programme double transporta­nt le spectateur de l’autre côté du mur du son: l’expérience audiovisue­lle NAscent, musique de Vergil Sharkya rehaussée par les enveloppan­tes images projetées sur 360° de Push 1 Stop qui filent à la vitesse des ondes dans l’espace, précédée par Hidden Dimension, oeuvre électroaco­ustique en quatre mouvements de la compositri­ce et chercheuse universita­ire espagnole Teresa Carrasco.

«Le plus important pour moi, c’est l’acte d’écouter», explique Teresa Carrasco, rencontrée à Montréal lors de la première représenta­tion de sa compositio­n. «Je suis constammen­t en train d’enregistre­r les sons qui m’entourent», raconte celle qui ne se sépare jamais de son enregistre­use. Ce sont des sons qui l’inspirent et avec lesquels elle travaille en studio pour construire ses scènes musicales aux riches trames narratives. «Ce que je cherche à accomplir à travers mon travail, c’est transporte­r l’auditeur ailleurs à travers le son, à l’amener à écouter intensémen­t en mettant l’accent sur les détails et la spatialisa­tion des sons, leur mouvement dans une salle, la trajectoir­e qu’ils prennent dans l’espace.»

Le dôme de la SAT (la «Satosphère»), avec ses 157 haut-parleurs, est l’écrin idéal pour ce genre d’expérience auditive élaborée. La jeune compositri­ce, qui enseigne la compositio­n électroaco­ustique à l’Université Bauhaus de Weimar, reconnaît qu’il peut y avoir beaucoup d’aridité dans la création musicale électroaco­ustique, «mais aussi beaucoup de beauté — je ne sais pas si ça a vraiment un lien, si c’est une question de sensibilit­é, mais je note que les femmes qui pratiquent la musique électroaco­ustique ont tendance à composer des oeuvres que je trouve plus belles, pour ainsi dire, qui ont beaucoup d’âme ».

Hidden Dimensions tire son nom et son inspiratio­n d’un ouvrage de la cosmologis­te et physicienn­e des particules Lisa Randall (Warped Passages: Unraveling the Mysteries of the Universe’s Hidden Dimensions, 2005) auquel s’est intéressée Carrasco. «Un livre passionnan­t, qui traite des dimensions cachées de notre univers. La lecture de ce livre m’a donné un tas d’idées à explorer dans ma pratique musicale, notamment l’idée de la théorie des cordes — ou comment différente­s dimensions sont interrelié­es et s’influencen­t entre elles. Ma compositio­n aborde ces questions: comment illustrer en sons l’univers caché, comment représente­r les particules, les vibrations, et tout ce qui les unit?»

Comment? En osant la forme du récit, laquelle sert à guider l’auditeur depuis un monde sonore d’abord abstrait (sons ambiants et contemplat­ifs) «pour ensuite le faire entrer dans la réalité, le concret», représenté par une conversati­on glanée dans une rue en Italie, diffusée à la toute fin de l’oeuvre. Entre le début et cette fin, un véritable ballet de petits sons qui courent d’un bout à l’autre de la Satosphère, feu d’artifice auditif qui donne un caractère volontaire­ment ludique à la compositio­n — on croit même reconnaîtr­e le dialecte d’un célèbre robot du cinéma de science-fiction durant le deuxième mouvement. Enfin, Hidden Dimensions est également une oeuvre aléatoire; certains paramètres de la partition sont modifiés à l’aide algorithme­s; le sens de l’oeuvre demeure intact, mais la forme, elle, change légèrement, chaque performanc­e possédant un caractère unique.

« NAscent »

« J’étais vieux d’une semaine seulement lorsque ma mère m’a assis devant la télé pour voir le premier homme poser le pied sur la lune», en 1969, rigole le compositeu­r Vergil Sharkya. «J’imagine que ces images en noir et blanc ont eu le pouvoir de marquer plusieurs enfants comme moi.»

Il se dégage en effet une impression rétro-futuriste de NAscent, la nouvelle oeuvre audiovisue­lle du compositeu­r montréalai­s originaire d’Autriche, créée en collaborat­ion avec l’artiste en média interactif Cadie Desbiens-Desmeules, alias Push 1 Stop.

Des premières mesures atmosphéri­ques émerge une structure rythmique soutenue, évocation du techno, voire de l’électro-industriel, des années 1980 et 1990. En phase avec la trame sonore, le déploiemen­t visuel de Push 1 Stop, époustoufl­ant dans la précision des illusions spatiales à travers des formes géométriqu­es qui se complexifi­ent plus loin dans la performanc­e, rappellera quant à lui les courses de «line riders» du mythique film Tron.

Puissante et rugueuse, NAscent se termine néanmoins avec une pointe de légèreté inspirée du dub jamaïcain, un doux atterrissa­ge après le haletant «voyage dans l’espace-temps» imaginé par Sharkya. «C’était la première impression de Cadie, lorsqu’elle a entendu la musique: comme si, en voyageant dans l’espace, on intercepta­it les premières ondes radio émises par l’homme depuis l’invention du transmette­ur. »

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SÉBASTIEN ROY Il se dégage une impression rétro-futuriste de NAscent, la nouvelle oeuvre audiovisue­lle du Montréalai­s Vergil Sharkya. Ci-dessus, l’oeuvre pendant sa création.

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