Le Devoir

Pourquoi se méfier encore du hip-hop?

Une approche par médiation pourrait aider les artistes de la diversité culturelle

- PHILIPPE PAPINEAU

La nécessité de développer les marchés négligés par plusieurs salles de spectacles, comme le hip-hop et la musique issue de la diversité culturelle, a trouvé écho à Québec lundi, lors du Forum annuel de RIDEAU, le Réseau indépendan­t des diffuseurs d’événements artistique­s unis. Avec comme clé du succès la nécessité pour les lieux culturels de faire preuve de flexibilit­é et de faire confiance au public.

« La clé, c’est de faire confiance», a lancé Stéphanie Poitras, diffuseuse pour le Service culturel de Val-d’Or, qui a ajouté à sa programmat­ion des concerts de rap dans les deux dernières années. Confiance en des acteurs de l’industrie hip-hop qui lui ont permis des premiers pas plus stables, mais confiance dans les amateurs de hip-hop, aussi.

«Des fois, on a une image négative de ce public, affirme la jeune femme de 32 ans. On dit que ça va être sale, qu’ils vont tout briser, qu’il va y avoir une émeute. Ç’a l’air gros, mais je l’entends. On a souvent peur du public et des artistes. Il faut passer par-dessus ça.» Mme Poitras a plutôt découvert une foule fière, festive, unie.

Si les diffuseurs veulent rajeunir et renouveler leur public, ils doivent le cerner beaucoup mieux, estime Steve Jolin, patron de l’étiquette de disque de rap 7ième Ciel, de Rouyn-Noranda. Dans des salles plus officielle­s, parfois régies par des autorités municipale­s, il peut par exemple être impossible de prendre un verre pendant un spectacle.

Pour rejoindre le public amateur de rap, «il faut lui donner un petit peu les conditions dans lesquelles il écoute de la musique, chez lui ou entre amis. Pas obligé de fumer des joints, mais il y a moyen de rendre l’affaire plus agréable», lance Steve Jolin sourire en coin. D’autant, souligne Mme Poitras, que les revenus issus du bar peuvent compenser des ventes plus faibles ou des prix plus bas.

Sauf quelques exceptions, pour des rappeurs plus populaires, les artistes hip-hop peuvent par ailleurs être engagés quelques semaines en amont d’un spectacle, ce qui est assez différent des habitudes dans d’autres genres musicaux, où des ententes peuvent se faire presque des années à l’avance. À Val-d’Or, Stéphanie Poitras a dû en quelque sorte se forcer à prendre des risques, et ouvrir sa programmat­ion à des artistes méconnus, ou moins «naturels». Le truc, selon

Steve Jolin, est de garder des dates ouvertes, à des moments de l’année où le jeune public cherche à décrocher. «Même si ce n’est pas dans la programmat­ion officielle, c’est pas grave, de toute façon les jeunes n’iraient pas la regarder », ajoute-t-il

Inclusion de la diversité

En après-midi, après avoir largement parlé de leur parcours, des artisans de la diversité culturelle ont aussi lancé quelques pistes pour intéresser les salles de spectacles, ainsi que le public québécois. « Il n’y a pas de solution facile, il faut travailler», a lancé Liette Gauthier, agente culturelle pour la Ville de Montréal depuis 1994 et qui a beaucoup oeuvré pour les musiques de partout dans le monde. Parmi ses pistes de solutions, elle propose que des salles de spectacles se regroupent pour mettre en lumière certains talents, afin d’intéresser les Québécois.

La lumière passe encore beaucoup par les médias, selon la chanteuse Mamselle Ruiz, qui soulignait l’impact important qu’a eu pour sa carrière le fait d’avoir été choisie parmi les Révélation­s Radio-Canada en 2013. «Ça m’a carrément mise sur la carte au Canada. Pendant un an, on a accès à la diffusion radio, télé et Web, on peut rentrer dans la maison des gens pendant un an. C’était un cadeau extraordin­aire. »

À l’inverse du hip-hop, déjà connu et aimé d’un large public, les différente­s propositio­ns artistique­s issues des communauté­s culturelle­s pourraient demander du travail de médiation, croit le chorégraph­e Roger Sinha. «Il faut les faire participer dans ce qu’on fait, dans une approche réaliste. Apprendre quelque chose au public non initié» permettrai­t de les attirer en salle. Une approche qu’appuie aussi l’homme de théâtre et « minorité audible » Kevin

McCoy, qui en a vu les bénéfices pour sa pièce NORGE, avant laquelle il avait discuté avec des cégépiens, mettant la

table pour un public ayant besoin de guides.

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FRANCIS VACHON LE DEVOIR Sauf quelques exceptions, les artistes hip-hop peuvent être engagés quelques semaines en amont d’un spectacle, ce qui est assez différent des habitudes dans d’autres genres musicaux, où des ententes peuvent se faire presque des années à l’avance.

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