LA COMMISSION VIENS S’ARRÊTE À MONTRÉAL
La Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec a amorcé ses audiences à Montréal, lundi. L’aînée mohawk Sedalia Fazio a ouvert les travaux en racontant comment son fils, alors âgé de 13 ans, avait été battu par des policiers à l’époque de la crise d’Oka.
Le spectre de l’affaire Colten Boushie planait sur la Commission sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec, qui inaugurait lundi ses deux semaines d’audience à Montréal.
Les témoignages entendus dans le cadre de cette commission d’enquête provinciale ont corroboré à leur manière les difficultés qu’éprouvent les Premières Nations et les Inuits à être traités de manière juste et équitable par les tribunaux et les corps policiers. L’acquittement de l’agriculteur saskatchewanais accusé de l’homicide de Colten Boushie, d’origine crie, avait créé une onde de choc en fin de semaine dernière.
Invitée à inaugurer la cérémonie d’ouverture au Palais des congrès, l’aînée mohawk Sedalia Fazio a raconté devant le commissaire Jacques Viens comment, à l’époque de la crise d’Oka, son fils, alors âgé de 13 ans, avait été sauvagement battu par des policiers. Il faisait certes «des choses qu’il n’aurait pas dû faire», mais la réaction des policiers a été démesurée, at-elle fait valoir dans un émouvant témoignage empreint de colère et de tristesse. Elle n’a jamais porté plainte, mais dit avoir les photos des empreintes de coups de botte que l’adolescent avait reçus au visage.
Elle a vivement dénoncé le «deux poids deux mesures» du système de justice et des corps policiers, affirmant qu’il est possible de tirer sur un enfant autochtone en toute impunité. «On doit même enseigner à nos enfants comment se comporter s’ils se font arrêter. “Mets-toi par terre, les bras en l’air, et dis que tu n’es pas armé.”»
Pour le chef de l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, Ghislain Picard, il existe un réel fossé entre la façon dont sont offerts certains services publics et la réalité sur le terrain. «Ça saute aux yeux: il y a clairement des failles dans le système qui font en sorte que nos populations sont traitées différemment et c’est ça qu’il faut changer», a-t-il déclaré.
Deux cas de brutalité
Les deux autres témoignages abondaient en ce sens. Originaire de Puvirnituq, au Nunavik, Etuk Kasulluak, qui a des problèmes d’alcool et purge actuellement une peine pour nonrespect de conditions, a raconté comment il avait été battu par des policiers, ce qui lui a causé de multiples fractures. Lors d’une de ses détentions, l’homme aurait été placé nu dans sa cellule, de même que sa petite amie de l’époque.
À la suite d’une bagarre, Daniel Dufresne, un Inuit âgé de 23 ans qui a résisté à son arrestation, a raconté comment des policiers avaient brutalement tenté de le maîtriser, en lui tordant le bras, ce qui lui a brisé le coude, et en lui mettant des menottes si serrées qu’elles lui sciaient les poignets. Le jeune mécanicien y est allé de ses commentaires généraux sur le système de justice à deux vitesses, dénonçant l’absence de traducteurs lors des rencontres préparatoires à une comparution et la trop grande proximité entre les procureurs de la couronne et les avocats de la défense qui dorment au même hôtel lorsque la cour itinérante est de passage dans un village.
Née dans la foulée des révélations d’abus et d’agressions sexuelles de policiers de Vald’Or sur des femmes autochtones, la commission Viens, qui a officiellement démarré ses travaux en décembre 2016, a récemment obtenu du gouvernement Couillard une prolongation de 10 mois et se terminera en septembre 2019. Jusqu’ici, plus de 130 témoins ont été entendus et quelque 350 autres dossiers d’enquête ont été ouverts. «Ça montre qu’il y a de plus en plus de personnes qui se sentent en confiance», a dit Ghislain Picard. «On va continuer à inciter notre communauté à témoigner. Si nos membres s’ouvrent le coeur, ça va en entraîner d’autres. »