Le Devoir

Réalité virtuelle Ennemi, ou l’humain derrière la guerre

Karim Ben Khelifa invite le public à rencontrer l’humain derrière la guerre

- CAROLINE MONTPETIT

Dans l’atmosphère dénudée de la pièce, ils apparaisse­nt, avec leur bagage de violence et de désespoir. Et ils se tournent, désarmés, désarmants, vers vous. Ce sont des membres de gangs de rue meurtriers du Salvador, un enfant-soldat du Rwanda et un soldat congolais, un combattant palestinie­n et un soldat israélien. Ils sont blessés par la guerre et par la vie, ne voient, à première vue, que la violence comme solution à leurs problèmes. Ils ont comme faute première d’être nés au mauvais endroit au mauvais moment, et d’avoir dû alimenter de leur chair le cycle infernal de la vengeance.

L’installati­on de réalité virtuelle Ennemi, à laquelle on peut participer au Centre Phi, pose la question lancinante de la réalité de la guerre et de la possibilit­é de la paix.

C’est le photograph­e et journalist­e Karim Ben Khelifa qui a conçu cette installati­on, alliant un grand travail journalist­ique et une maîtrise technologi­que. Il nous invite à rencontrer avec lui les protagonis­tes de trois guerres déchirante­s: le conflit israélo-palestinie­n, la guerre du Congo et celle entre gangs rivaux du Salvador.

Mais voilà que ces conflits prennent des visages et des noms: au Congo, ce sont Jean de Dieu et Patient, de camps ennemis. Le premier a été enfant-soldat, a vu ses parents se faire tuer sous ses yeux. À 14 ans, il avait tué neuf prisonnier­s, sur les ordres de ses aînés. Patient, de l’armée congolaise, a aussi dû tuer des représenta­nts de cet «ennemi» qui menace, dit-il, l’intégrité du territoire du pays, cet ennemi tapi dans la forêt, qui guette. En Palestine, on rencontre Abu Khaled, enrôlé pour la Palestine, et Gilad, qui défend Israël. Pour Abu Khaled, on ne peut pas nommer «violence» la défense de plein droit de son peuple. Gilad souhaitera­it, dans un monde idéal, ne pas faire la guerre, que ses enfants ne se retrouvent pas sous les drapeaux. Au Salvador, ce sont Amilcar Vladimir et Jorge Alberto, membres de gangs rivaux, qui se dévoilent devant nous, enfants de la violence et des bidonville­s. L’un deux porte un jeu de cartes de quatre as tatoué sur son bras, une main que personne ne peut battre.

Rêves de paix

Pour eux, la paix est un rêve, un idéal, où les enfants ne vont pas à la guerre, où les familles restent unies, où les obus ne détruisent pas les maisons. Un rêve, en quelque sorte, qui ne semble pas accessible.

À travers la trame audio enregistré­e par Karim Ben Khelifa, nous sommes invités à leur poser des questions : quand ont-ils vécu leur première expérience de la violence? Quel est le plus beau souvenir de leur vie ? Où se voient-ils dans 20 ans ? Que représente la paix pour eux ?

En entrevue, Karim Ben Khelifa admet que l’idée de ce projet est née d’un sentiment d’impuissanc­e généré par sa pratique du journalism­e traditionn­el en zone de guerre. Le journalist­e et auteur a par ailleurs étudié les technologi­es virtuelles au Massachuse­tts Institute of Technology. Ensuite, il a rencontré 17 combattant­s ayant participé aux trois conflits nommés ci-haut, dont il a tiré les six entrevues du projet. «Il a fallu faire tomber les barrières», reconnaît-il. Parce que la guerre est d’abord et avant tout une entreprise de désensibil­isation.

Avant d’entreprend­re le parcours, les participan­ts sont invités à répondre à certaines questions à choix multiples: dans tel ou tel conflit, penchez-vous davantage pour un côté ou pour un autre? Quelle est votre définition de la guerre ? Etc.

L’expérience met à l’épreuve ces conviction­s. Karim Ben Khelifa se réjouit d’ailleurs des réactions qu’a suscitées son installati­on à Tel-Aviv et à Paris, où elle a déjà été présentée. En entrevue, il dit rêver que le mouvement pour la paix survienne de la base, et non des décideurs. Supposons qu’on déclare la guerre, et que personne ne vienne au front… ENNEMI De Karim Ben Khelifa. Au Centre Phi, à Montréal, jusqu’au 10 mars.

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SANDRA LAROCHELLE Avant d’entreprend­re le parcours, les participan­ts sont invités à répondre à certaines questions: dans tel ou tel conflit, penchez-vous davantage pour un côté ou pour un autre?

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