Le Devoir

L’obsession olympique

- KARL RETTINOPAR­AZELLI

Le sport est souvent injuste, et pas seulement pour les perdants. Mikaël Kingsbury avait mis la main sur pratiqueme­nt tout ce qui peut être gagné en ski acrobatiqu­e, mais ce n’était pas suffisant.

Au cours de sa carrière, ce prodige de 25 ans a remporté 48 victoires, 2 championna­ts du monde et 6 globes de cristal couronnant le vainqueur de la saison de Coupe du monde, mais pas de médaille d’or olympique.

Et dans le monde du sport amateur, qui n’attire l’attention du grand public qu’une fois tous les quatre ans, le succès olympique semble être devenu le baromètre suprême pour déterminer la véritable valeur d’un athlète.

Sur le podium lundi, Kingsbury affichait plus que de la joie. Sur son visage, on lisait de la fierté, mais surtout un énorme soulagemen­t. «Je l’ai», s’est-il dit, serrant dans sa main la drôle de peluche qu’on lui a remise en attendant la cérémonie des médailles officielle.

Avant ce triomphe en Corée du Sud, Kingsbury était reconnu comme un champion, mais pas comme un champion olympique. Il dominait déjà le circuit en 2014, lorsqu’il s’était présenté aux Jeux olympiques de Sotchi, mais c’est son compatriot­e Alexandre Bilodeau, vainqueur à Vancouver quatre ans plus tôt, qui était parvenu à défendre son titre.

Depuis, on n’a cessé de répéter ce qui compose, mais surtout ce qui manque à son incroyable palmarès.

À Pyeongchan­g, il s’est donc présenté comme le favori incontesté, mais aussi comme l’homme à battre. Il a candidemen­t avoué qu’il n’a jamais été aussi nerveux avant une course, mais les nerfs ont tenu le coup. Aux yeux de la planète, il est maintenant un champion à part entière.

À bien y penser, cette obsession olympique — qu’il s’agisse de celle des médias, du public ou des athlètes eux-mêmes — est cruelle.

Dans pratiqueme­nt toutes les discipline­s, les sportifs vous diront que bien des choses peuvent changer en quatre ans et que la domination d’hier ne garantit pas celle de demain. Tous les athlètes s’améliorent, raffinent leur technique et s’inspirent des meilleurs, pendant que de nouvelles recrues viennent brouiller les cartes.

Avant les Jeux, le champion olympique de Sotchi au 1500 mètres en patinage de vitesse courte piste, Charles Hamelin, nous rappelait par exemple à quel point son sport a évolué au cours dernières années et combien il est difficile de prévoir l’identité du gagnant au sein d’un groupe de compétiteu­rs aussi relevé. Cette fin de semaine, on a pourtant parlé de sa disqualifi­cation en finale comme d’une déception. Cette course, il l’a perdue samedi, mais il aurait pu la gagner le lendemain ou la journée suivante.

Kingsbury l’a d’ailleurs bien résumé lundi, en entrevueàR­adio-Canada:«Les Jeux olympiques, c’est une question de timing. C’est d’être bon une journée. »

Autrement dit, on définit en grande partie les athlètes par leurs succès olympiques, qui tiennent à bien peu de choses, et par-dessus tout on attend des champions qu’ils soient en mesure de défendre leur titre lors des Jeux olympiques suivants, comme si ça allait de soi.

Mikaël Kingsbury l’a donc, sa médaille d’or olympique. Il a maintenant mis la main sur tout ce qui peut être gagné en ski acrobatiqu­e. Mais on en voudra encore plus dans quatre ans.

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