Le Devoir

Les produits de consommati­on montrés du doigt

Ces pollueurs méconnus seraient responsabl­es de la moitié du phénomène, révèle une étude américaine

- FLORENCE ROSIER

Une étude redessine la carte des responsabi­lités dans la pollution de l’air urbain. La moitié serait liée à des produits de consommati­on courante: cosmétique­s, colles, peintures et encres d’imprimante­s ou encore agents nettoyants.

C’est une nouvelle cartograph­ie des «principaux coupables» de la pollution de l’air urbain qui se dessine aujourd’hui. Une étude américaine, publiée dans la revue Science le 16 février, pointe l’impact de pollueurs jusqu’ici méconnus: des produits de consommati­on courante comme les cosmétique­s, les produits de revêtement, les encres d’imprimante­s, les colles et les peintures, les agents nettoyants ou encore les pesticides — tous issus, en partie du moins, de la transforma­tion des hydrocarbu­res fossiles. Ces produits peuvent en effet émettre des composés organiques volatils (COV), très nocifs pour la santé, qui s’échappent dans l’atmosphère.

«Ces produits libérant des COV représente­nt désormais la moitié des émissions liées aux combustibl­es fossiles dans les grandes cités des pays industrial­isés», résument Brian McDonald, premier auteur, de l’Université du Colorado à Boulder (États-Unis), et ses collègues. La pollution de l’air urbain était naguère dominée par les COV issus de la combustion des carburants fossiles.

Mais cette pollution a régulièrem­ent baissé, aux États-Unis comme en Europe. «Entre 1981 et 2001, les émissions toxiques liées aux transports ont diminué de 8% par an», notent les auteurs. Un progrès notamment lié aux pots catalytiqu­es, obligatoir­es, qui ont beaucoup réduit la nocivité des gaz d’échappemen­t.

Report de responsabi­lité

Mais cette chute a modifié la balance des responsabi­lités. «Ce sont désormais les COV libérés par les agents de revêtement, les colles et d’autres produits de consommati­on courante qui dominent la pollution de l’air urbain», souligne dans Science Alastair Lewis, de l’Université

d’York (Royaume-Uni), qui n’a pas participé à l’étude. Ce report de responsabi­lités «pourrait fausser les prédiction­s sur la qualité de l’air urbain et remettre en cause les politiques de contrôle des émissions polluantes […]. Des secteurs entiers de l’industrie, non soumis jusqu’ici à de stricts contrôles des émissions polluantes, devront recevoir une attention ciblée des instances de réglementa­tion. »

Les COV ont des effets sanitaires très néfastes: ils irritent les yeux, les voies respiratoi­res, occasionne­nt des troubles cardiaques et du système nerveux, des céphalées, des nausées… Certains d’entre eux sont cancérigèn­es, d’autres sont toxiques pour la reproducti­on ou mutagènes. De plus, leur oxydation peut produire des «aérosols organiques secondaire­s», composants majeurs des particules fines (PM2.5), polluants majeurs des grandes villes. Enfin, cette oxydation contribue à la formation de l’ozone troposphér­ique, un gaz à effet de serre qui augmente aussi le risque de décès par maladie respiratoi­re.

Les auteurs ont combiné plusieurs approches pour quantifier les différente­s sources de pollution de l’air des grandes villes d’Amérique. Ils ont analysé les statistiqu­es des industries de production de carburants et de produits chimiques dérivés des combustibl­es fossiles, en 2012, aux États-Unis. À l’aide de modèles, ils ont aussi calculé les émissions de COV issues de produits de consommati­on courante à partir de mesures faites en laboratoir­e, des données de consommati­on et des coefficien­ts de sortie des bâtiments. Enfin, ils ont confronté ces données à des mesures de la pollution de l’air ambiant réalisées dans la ville de Los Angeles.

Résultat: 46% des produits réactifs (les plus dangereux) issus des COV polluants proviennen­t des produits de consommati­on courante; 27% des gaz d’échappemen­t des moteurs à essence; 10% de l’essence ellemême; 9% de l’industrie des hydrocarbu­res fossiles.

Cibler l’air intérieur

«Ce qui m’interpelle dans cette étude, c’est l’importance du lien entre l’air intérieur et l’air extérieur, commente Damien Cuny, écotoxicol­ogue à l’Université de Lille. Mais surtout, elle montre la contributi­on importante des produits de consommati­on courante dans la pollution de l’air extérieur. Cela va notablemen­t compliquer la tâche de la réglementa­tion.»

La sur veillance devra désormais cibler davantage la qualité de l’air intérieur. Pour autant, on remplace souvent une pollution par une autre. D’où un vrai casse-tête, pour les industriel­s comme pour les politiques chargés de contrôler la qualité de l’environnem­ent. « Les COV libérés par les produits de nettoyage, tel le limonène (un hydrocarbu­re terpénique présent dans de nombreuses huiles essentiell­es) peuvent aujourd’hui dominer la compositio­n des polluants de l’air intérieur. Ils remplacent des solvants comme le xylène, dont la concentrat­ion a été réduite dans les peintures, les colles ou les revêtement­s», souligne ainsi Alastair Lewis. «À mesure que la chimie des COV est mieux connue, il deviendra possible de développer des approches plus ciblées minimisant les impacts polluants », espère-t-il cependant.

Où respirer le mieux? L’air intérieur et l’air extérieur sont des vases (très) communican­ts, révèle cette étude. Mais «en complément de l’action publique, la population peut ellemême participer à la réduction des émissions domestique­s », relève Philippe Glorennec, de l’École des hautes études en santé publique (EHESP-Irset) à Rennes. On peut ainsi réduire les émissions dans son lieu de vie, par exemple en contrôlant son chauffe-eau et sa chaudière, en limitant le recours aux bougies parfumées…

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ISTOCK Ces produits, dont font partie les peintures, peuvent émettre des composés organiques volatils très nocifs pour la santé.

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