Michel David Les pissous et la langue de l’État québécois
En plus des touristes de loisirs, le Québec fait courir de plus en plus de jeunes élèves en camps d’été et d’hiver, curieux de notre coin de pays et même désireux d’y poursuivre des études.
Sur le terrain d’une école de Val-Morin, dans les Laurentides, la neige poudreuse alourdit la silhouette des sapins et donne des allures lunaires à un petit lac rond. En plein mois de février, une vingtaine d’adolescents chinois s’aventurent timidement dans la neige, certains en souliers de course et d’autres sans mitaines, visiblement peu habitués à négocier avec cet élément glacé.
«J’aime beaucoup, beaucoup, beaucoup la neige. Mais c’est très, très froid», avoue Yang Luping, 14 ans, en « vacances » au Québec avec ses collègues de classe à l’occasion du Nouvel An lunaire chinois.
Comme des centaines d’autres jeunes de son âge, Yang fait partie des enfants que de plus en plus de familles chinoises envoient désormais en vacances outremer, pour apprendre l’anglais et découvrir un coin d’Amérique. Plusieurs investissent déjà des camps de vacances québécois l’été, mais certains commencent aussi à venir visiter le pays l’hiver, non sans expérimenter un certain décalage… climatique.
En posant le pied à l’aéroport, certains élèves n’avaient ni tuques ni mitaines. «Sur la route, nous arrêtons faire le plein de bottes et de pantalons neige», sourit Guillaume Mallette, chargé de projet à Edphy International, un camp de vacances des Laurentides qui accueille aussi des centaines d’enfants chinois pendant les vacances d’été.
«Nous avons reçu un premier groupe en hiver l’an dernier, et celui-ci cette année. Ils veulent tout voir et tout faire», affirme le responsable de l’accueil de cette clientèle internationale.
En mission commandée
En plus des trois heures quotidiennes d’anglais prévues à leur programme, ces ados feront de la pêche sur glace, du ski, de la glissade sur tubes, ils assisteront à un match de hockey des Sénateurs à Ottawa, visiteront Montréal, Québec, alouette. Un programme — de 7h30 à 21h30 — bien rempli pour des jeunes en vacances… auquel s’ajouteront la visite d’écoles de la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys et une virée à l’Université McGill.
C’est que la plupart d’entre eux sont aussi en mission de reconnaissance pour sonder l’intérêt de venir y faire leurs études un jour, même de venir y vivre, confirme Danmeng Zhu, l’interprète engagé pour les accompagner. « Je dirais que la moitié d’entre eux pensent à immigrer ici avec leur famille, en raison de la culture, car il y a trois langues au Québec », dit-il.
«Oui, j’aimerais bien revenir étudier ici plus tard», confie Yang. Pendant que ses copains s’activent autour d’un jeu de hockey sur table, d’autres, le nez plongé sur leurs cellulaires, envoient leurs dernières photos à leurs parents.
L’essor économique que vit la Chine permet à de plus en plus d’élèves de s’offrir ces voyages scolaires, surtout ceux qui fréquentent les nombreuses écoles privées. Les parents sont capables de payer, assure Yao Zhao, le prof de cette classe de l’école secondaire — pourtant publique — de Fulin, située dans le Chongqing. Une région qui a connu une explosion démographique et économique fulgurante depuis la construction du barrage des Trois-Gorges sur le mythique fleuve Chang jiang.
Pourquoi le Québec?
«En Chine, on a vu sur Internet qu’ici, c’était un pays très sécuritaire. Les gens sont gentils et nous disent “Bonjour” », dit le jeune Zhuozhen Yai, articulant ce petit mot presque sans accent. « It’s safe here », renchérit-il en anglais. L’interprète confirme que les parents chinois, hypersensibles à la question sécuritaire, choisissent notamment le Québec et le Canada pour cette raison.
Le même camp des Laurentides recevra jusqu’à 300 campeurs chinois l’été prochain, et leur nombre croît chaque année. Au plus fort de l’été, lors du séjour concordant avec le début des grandes vacances scolaires en Chine, les petits campeurs venus d’Asie compteront pour la moitié des campeurs. Ils sont déjà des centaines à venir se frotter à la culture québécoise durant l’été dans plusieurs autres camps et écoles de jour à Montréal, créés sur mesure pour cette clientèle convoitée.
Mon école au Canada
À 50 kilomètres de Val-Morin, du côté de Lachute, c’est une école secondaire complète qui pourrait accueillir dans quelques années des centaines d’élèves chinois si se concrétise le projet de vaste campus écolier privé, annoncé l’an dernier par des promoteurs de Brossard associés à la compagnie chinoise Broad Group.
Cette dernière a acquis le terrain de golf local, un immense espace vert situé en plein coeur de la petite municipalité de 12 000 âmes. Ce projet, qui totaliserait des investissements de 100 millions selon les promoteurs, prévoit à terme la construction de résidences et d’une école internationale de 2000 élèves — dont 15 à 20% proviendraient de Chine —, où l’enseignement se ferait en quatre langues (anglais, français, mandarin et espagnol).
«Pour les promoteurs, c’était le lieu idéal. Un endroit champêtre, situé entre Montréal et Ottawa. Les Chinois sont aussi amateurs de golf. Ça va devenir un village dans la ville qui pourrait créer 300 emplois. C’est comme si on annonçait la construction d’un cégep», affirme, enjoué, Claude Péloquin, le maire de Lachute. Les promoteurs refusent pour l’instant d’en dire plus sur l’avancement de ce projet.
Golf, ciel bleu, neige et tranquillité: ce coin du Québec semble détenir la combinaison parfaite pour continuer à faire rêver des Chinois venus de l’autre bout du monde.