Le Devoir

Michel David Les pissous et la langue de l’État québécois

- ISABELLE PARÉ

En plus des touristes de loisirs, le Québec fait courir de plus en plus de jeunes élèves en camps d’été et d’hiver, curieux de notre coin de pays et même désireux d’y poursuivre des études.

Sur le terrain d’une école de Val-Morin, dans les Laurentide­s, la neige poudreuse alourdit la silhouette des sapins et donne des allures lunaires à un petit lac rond. En plein mois de février, une vingtaine d’adolescent­s chinois s’aventurent timidement dans la neige, certains en souliers de course et d’autres sans mitaines, visiblemen­t peu habitués à négocier avec cet élément glacé.

«J’aime beaucoup, beaucoup, beaucoup la neige. Mais c’est très, très froid», avoue Yang Luping, 14 ans, en « vacances » au Québec avec ses collègues de classe à l’occasion du Nouvel An lunaire chinois.

Comme des centaines d’autres jeunes de son âge, Yang fait partie des enfants que de plus en plus de familles chinoises envoient désormais en vacances outremer, pour apprendre l’anglais et découvrir un coin d’Amérique. Plusieurs investisse­nt déjà des camps de vacances québécois l’été, mais certains commencent aussi à venir visiter le pays l’hiver, non sans expériment­er un certain décalage… climatique.

En posant le pied à l’aéroport, certains élèves n’avaient ni tuques ni mitaines. «Sur la route, nous arrêtons faire le plein de bottes et de pantalons neige», sourit Guillaume Mallette, chargé de projet à Edphy Internatio­nal, un camp de vacances des Laurentide­s qui accueille aussi des centaines d’enfants chinois pendant les vacances d’été.

«Nous avons reçu un premier groupe en hiver l’an dernier, et celui-ci cette année. Ils veulent tout voir et tout faire», affirme le responsabl­e de l’accueil de cette clientèle internatio­nale.

En mission commandée

En plus des trois heures quotidienn­es d’anglais prévues à leur programme, ces ados feront de la pêche sur glace, du ski, de la glissade sur tubes, ils assisteron­t à un match de hockey des Sénateurs à Ottawa, visiteront Montréal, Québec, alouette. Un programme — de 7h30 à 21h30 — bien rempli pour des jeunes en vacances… auquel s’ajouteront la visite d’écoles de la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys et une virée à l’Université McGill.

C’est que la plupart d’entre eux sont aussi en mission de reconnaiss­ance pour sonder l’intérêt de venir y faire leurs études un jour, même de venir y vivre, confirme Danmeng Zhu, l’interprète engagé pour les accompagne­r. « Je dirais que la moitié d’entre eux pensent à immigrer ici avec leur famille, en raison de la culture, car il y a trois langues au Québec », dit-il.

«Oui, j’aimerais bien revenir étudier ici plus tard», confie Yang. Pendant que ses copains s’activent autour d’un jeu de hockey sur table, d’autres, le nez plongé sur leurs cellulaire­s, envoient leurs dernières photos à leurs parents.

L’essor économique que vit la Chine permet à de plus en plus d’élèves de s’offrir ces voyages scolaires, surtout ceux qui fréquenten­t les nombreuses écoles privées. Les parents sont capables de payer, assure Yao Zhao, le prof de cette classe de l’école secondaire — pourtant publique — de Fulin, située dans le Chongqing. Une région qui a connu une explosion démographi­que et économique fulgurante depuis la constructi­on du barrage des Trois-Gorges sur le mythique fleuve Chang jiang.

Pourquoi le Québec?

«En Chine, on a vu sur Internet qu’ici, c’était un pays très sécuritair­e. Les gens sont gentils et nous disent “Bonjour” », dit le jeune Zhuozhen Yai, articulant ce petit mot presque sans accent. « It’s safe here », renchérit-il en anglais. L’interprète confirme que les parents chinois, hypersensi­bles à la question sécuritair­e, choisissen­t notamment le Québec et le Canada pour cette raison.

Le même camp des Laurentide­s recevra jusqu’à 300 campeurs chinois l’été prochain, et leur nombre croît chaque année. Au plus fort de l’été, lors du séjour concordant avec le début des grandes vacances scolaires en Chine, les petits campeurs venus d’Asie compteront pour la moitié des campeurs. Ils sont déjà des centaines à venir se frotter à la culture québécoise durant l’été dans plusieurs autres camps et écoles de jour à Montréal, créés sur mesure pour cette clientèle convoitée.

Mon école au Canada

À 50 kilomètres de Val-Morin, du côté de Lachute, c’est une école secondaire complète qui pourrait accueillir dans quelques années des centaines d’élèves chinois si se concrétise le projet de vaste campus écolier privé, annoncé l’an dernier par des promoteurs de Brossard associés à la compagnie chinoise Broad Group.

Cette dernière a acquis le terrain de golf local, un immense espace vert situé en plein coeur de la petite municipali­té de 12 000 âmes. Ce projet, qui totalisera­it des investisse­ments de 100 millions selon les promoteurs, prévoit à terme la constructi­on de résidences et d’une école internatio­nale de 2000 élèves — dont 15 à 20% proviendra­ient de Chine —, où l’enseigneme­nt se ferait en quatre langues (anglais, français, mandarin et espagnol).

«Pour les promoteurs, c’était le lieu idéal. Un endroit champêtre, situé entre Montréal et Ottawa. Les Chinois sont aussi amateurs de golf. Ça va devenir un village dans la ville qui pourrait créer 300 emplois. C’est comme si on annonçait la constructi­on d’un cégep», affirme, enjoué, Claude Péloquin, le maire de Lachute. Les promoteurs refusent pour l’instant d’en dire plus sur l’avancement de ce projet.

Golf, ciel bleu, neige et tranquilli­té: ce coin du Québec semble détenir la combinaiso­n parfaite pour continuer à faire rêver des Chinois venus de l’autre bout du monde.

 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? Autrefois concentrés à Montréal et à Québec dans des voyages de groupe, les touristes chinois, de plus en plus jeunes, sont davantage à la recherche de plein air.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR Autrefois concentrés à Montréal et à Québec dans des voyages de groupe, les touristes chinois, de plus en plus jeunes, sont davantage à la recherche de plein air.
 ?? JACQUES NADEAU LE DEVOIR ?? De plus en plus de jeunes en voyage d’études investisse­nt les camps de vacances pour découvrir la Belle Province.
JACQUES NADEAU LE DEVOIR De plus en plus de jeunes en voyage d’études investisse­nt les camps de vacances pour découvrir la Belle Province.
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JACQUES NADEAU LE DEVOIR S’acclimater à la neige? Un défi pour ces ados venus du Chongqing, dans le sud de la Chine.

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