Le Devoir

Le ministre qui voulait revenir aux fondamenta­ux

Applaudi à droite comme à gauche, le ministre français Jean-Michel Blanquer prêche pour une école du « bon sens »

- CHRISTIAN RIOUX Correspond­ant à Paris

Le «meilleur élève de la classe », le «sauveur», «l’habileté faite homme» et même le « viceprésid­ent». N’en jetez plus! Une fois n’est pas coutume, tels sont quelques-uns des qualificat­ifs élogieux que réserve la presse française au ministre de l’Éducation d’Emmanuel Macron, Jean-Michel Blanquer. Alors que la plupart de ses prédécesse­urs n’ont été épargnés ni par les médias ni par les mouvements de protestati­ons, le nouveau ministre a réussi en quelques mois le tour de force de devenir la coqueluche du gouverneme­nt, malgré ses airs un peu gauches et son manque de charisme évident.

Jeudi soir, il se sortait avec brio de plus de deux heures d’entrevues en direct à la télévision dans le cadre de la grande Émission politique que propose périodique­ment la chaîne publique France 2. C’est à peine si ses contradict­eurs, comme son prédécesse­ur Jack Lang ou le député de La France insoumise Alexis Corbière, sont parvenus à égratigner celui qui possède ses dossiers sur le bout des doigts. Le ministre a été jugé convaincan­t par plus de 70% des téléspecta­teurs, battant à plate couture ses prédécesse­urs, comme Marine Le Pen et le premier ministre Édouard Philippe. Il trouve même le moyen d’être plébiscité dans les sondages par 72% des électeurs de droite et 52 % de ceux de gauche.

«Ni droite ni gauche»

Il faut dire que ce spécialist­e de l’Amérique latine baigne depuis quinze ans dans l’administra­tion scolaire, où il a occupé quelques-uns des postes les plus prestigieu­x. Il a notamment été recteur de l’Académie de Créteil, où il a mis en pratique quelques-unes de ses thèses. Avant de rallier Emmanuel Macron, chose rare, il a pris le soin de faire connaître ses propositio­ns dans un livre, L’école de demain (Odile Jacob). On raconte que cet ami d’enfance de l’ancien ministre François Baroin aurait aussi bien pu être le ministre de l’Éducation d’Alain Juppé et de François Fillon que d’Emmanuel Macron.

Est-ce un de ses secrets? Au printemps dernier, l’homme est arrivé à la tête de ce que les Français surnomment le « mammouth » sans proposer de révolution, comme c’est pourtant devenu la règle en éducation depuis des décennies. Sa première mesure, à l’apparence anodine, a consisté à faire la rentrée 2017 en musique. Partout, il a mobilisé les orchestres et même dépêché l’orchestre philharmon­ique de Paris dans les banlieues. Avec sa collègue de la Culture, il a annoncé qu’il allait promouvoir les chorales dans tous les établissem­ents. Les Français n’ont pas pu s’empêcher de penser aussitôt à Clément Mathieu, ce professeur chaleureux et exigeant incarné par Gérard Jugnot dans le film Les choristes.

Le message était clair. Le ministre entendait revenir aux fondamenta­ux : « lire, écrire, compter et respecter autrui», répète-t-il en boucle. Coup sur coup, il a annoncé un certain nombre de décisions symbolique­s qui ont réconforté les parents: retour aux cours de latin et de grec offerts dans les écoles secondaire­s et à l’enseigneme­nt chronologi­que de l’histoire et de la littératur­e, interdicti­on complète du téléphone portable à l’école, retour du par coeur, des récitation­s de poésie et de la dictée au primaire et création d’unités dans chaque académie afin d’épauler les enseignant­s dans le respect de la laïcité. Sans oublier la suppressio­n du «prédicat», «notion inutilemen­t complexe», a-t-il déclaré, lequel était destiné à remplacer le bon vieux complément d’objet dans les grammaires et auquel personne n’avait encore rien compris. Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il pensait de l’écriture dite «inclusive», il a répondu: «Le jour où on parviendra à faire diminuer le nombre de femmes battues avec des “.e” à la fin des mots, on en reparlera. »

S’il considère que l’école est d’abord un lieu de transmissi­on du savoir, on sent bien que Jean-Michel Blanquer ne veut pas se faire coller l’étiquette d’un conservate­ur ou d’un progressis­te. Comme son prédécesse­ur, le ministre de Mitterrand JeanPierre Chevènemen­t, il aurait tendance à se définir comme «un conservate­ur… du progrès». Un autre de ses prédécesse­urs, le centriste François Bayrou, dit aussi de lui qu’«il incarne le bon sens. Or, le bon sens n’est ni de droite ni de gauche ».

Un «bain de langage»

Ainsi le ministre entend-il concentrer ses efforts sur le primaire et la maternelle, qui dure trois ans en France. Il veut, dit-il, immerger les enfants dans « un bain de langage». Partisan de la méthode syllabique d’apprentiss­age de la lecture contre la méthode dite globale, le ministre ne veut surtout pas ressuscite­r les vieilles polémiques. Pour cela, il dit se contenter d’appliquer les «méthodes qui marchent». Selon lui, pour les enfants en bas âge, les sciences cognitives ont donné raison aux partisans des méthodes d’apprentiss­age explicites comme le syllabique en lecture et le calcul mental en mathématiq­ues. Des capacités qu’il faut, dit-il, acquérir très tôt si l’on veut éviter les déficits plus tard.

«Dresser ce constat, ce n’est pas être rétrograde, écrit-il. Il s’agit plutôt de reconnaîtr­e sans détour que [depuis des années] l’imprégnati­on du langage et la maîtrise des savoirs fondamenta­ux ont cessé d’être une priorité. » Cette semaine, le ministre confiait au magazine Le Point que «beaucoup de choses qu’on analyse comme relevant du passé […] relèvent en réalité de l’éternité».

Depuis son arrivée rue de Grenelle, Jean-Michel Blanquer s’est donc entouré de scientifiq­ues. Pour valider ses décisions, il en a nommé à plusieurs comités. Parmi eux, citons le titulaire de la Chaire en psychologi­e expériment­ale au collège de France Stanislas Dehaene, qui préside le Conseil scientifiq­ue chargé notamment de la formation des maîtres, le mathématic­ien et médaillé Field Cédric Villani, à qui il a confié une mission sur l’enseigneme­nt des mathématiq­ues, et le neuropsych­iatre

Boris Cyrulnik, qui devra réfléchir à la maternelle.

Un peuple conservate­ur?

Pour le sociologue de gauche François Dubet, interviewé sur France Inter, les succès de Jean-Michel Blanquer prouvent que « les Français, en matière d’école, sont conservate­urs». Le sociologue se dit cependant favorable à la réforme, qui simplifier­a le baccalauré­at, cet examen incontourn­able qui précède l’entrée à l’université. Jean-Michel Blanquer veut réduire à quatre le nombre des matières évaluées et créer un «grand oral» où chaque élève devra défendre dans une langue soutenue et pendant vingt minutes le résultat d’une recherche et répondre à des questions.

Plusieurs ont vu dans ce nouveau baccalauré­at une forme d’«individual­isation du diplôme». Or, le développem­ent d’un enseigneme­nt à la carte, à l’exemple des cégeps au Québec, est justement ce que certains craignent le plus. Les syndicats redoutent notamment un accent plus grand mis sur l’évaluation continue des élèves. Une façon de faire qui pourrait, disent-ils, accentuer l’écart entre les écoles des milieux défavorisé­s et celles de l’élite.

Sur un plan plus politique, la popularité de Jean-Michel Blanquer souligne un dernier paradoxe, faisait remarquer dans le magazine Marianne l’historien Jacques Julliard. «Le domaine où Emmanuel Macron aura, pour le moment, le plus changé la donne» est l’éducation. Or, c’est «paradoxale­ment celui où le président n’aura joué aucun rôle direct ».

Le jour où on parviendra à faire diminuer le nombre de femmes battues » avec des “.e” à la fin des mots, on en reparlera Jean-Michel Blanquer, à propos de l’écriture dite «inclusive»

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BERTRAND GUAY AGENCE FRANCE-PRESSE Jean-Michel Blanquer veut éviter de se faire étiqueter conservate­ur ou progressis­te.

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