Le Devoir

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La «crise des médias» n’est pas une invention de journalist­es en mal de subvention­s. L’érosion du modèle d’affaires des médias dits «traditionn­els» frappe maintenant des entreprise­s que l’on croyait inébranlab­les.

Le président du conseil d’administra­tion de Torstar, John Honderich, a indiqué cette semaine que le Toronto Star luttait pour sa survie. Il s’agit d’une autre manifestat­ion de la crise structurel­le que traversent les journaux imprimés. Cette crise a provoqué une prise de conscience aiguë chez de nombreux éditeurs de presse au Québec et au Canada, qui revendique­nt des mesures d’aide transitoir­es pour affronter les défis du passage au numérique. La Presse, Le Devoir, les journaux de Capitales Médias, le Star, pour ne nommer que ceux-là, militent pour la création d’un programme d’aide aux quotidiens. Deux syndicats de journalist­es, Unifor et la Fédération nationale des communicat­ions (FNC), solliciten­t aussi l’interventi­on des gouverneme­nts pour assurer le maintien des emplois en journalism­e.

Les mesures proposées divergent d’une faction à l’autre, mais le consensus qui se dégage, révélateur du sentiment d’urgence dans l’industrie, est largement favorable à une interventi­on de l’État. Le soutien à la production d’informatio­ns locales, les crédits d’impôt sur la transforma­tion numérique ou la masse salariale et la recherche d’équité fiscale entre les médias nationaux et étrangers figurent en tête de liste des solutions proposées.

Le professeur émérite à l’Université Laval Florian Sauvageau écorche dans nos pages «l’unanimité agaçante » des médias et des journalist­es pour obtenir une interventi­on d’urgence, quoiqu’il ne soit pas contre l’idée à court terme.

Pour éviter les apparences de conflit d’intérêts, il faudra éviter que l’État et ses mandataire­s se fassent les arbitres du bon goût et qu’ils départagen­t, à partir de critères subjectifs, les médias méritoires des vilains canards. Pour garder le travail journalist­ique à distance du pouvoir, comme le propose à juste titre M. Sauvageau, il faudra privilégie­r des critères d’admissibil­ité de type quantitati­f, tels que le crédit d’impôt remboursab­le. Enfin, il faudra soutenir le journalism­e, et non le divertisse­ment. Comment tirer la ligne? En se rappelant que le journalism­e devient une activité sérieuse lorsqu’il est rémunéré et lorsqu’il porte sur la production de contenus d’informatio­n originaux (par opposition à l’agrégation de contenus existants) sur des sujets d’actualité générale. En termes simples, c’est la fonction « chien de garde de la démocratie» du journalism­e qu’il faudra encourager.

Contrairem­ent aux prétention­s de la ministre du Patrimoine, Mélanie Joly, les quotidiens ne s’accrochent pas à un vieux modèle d’affaires brisé. Ils sont plus lus que jamais grâce au développem­ent de plateforme­s numériques qui s’ajoutent à l’offre imprimée. À ce chapitre, Le Devoir compte plus d’abonnés à ses éditions numériques qu’à ses éditions imprimées en semaine et il rejoint maintenant plus de lecteurs sur ses versions numériques que sur ses versions imprimées sur sept jours. Le réel problème vient du fait que deux géants étrangers, Google et Facebook, accaparent maintenant plus de 70% des revenus de publicité numérique, dans l’indifféren­ce complice d’Ottawa. Netflix et les géants étrangers du numérique ont l’oreille de Mme Joly, tandis que les éditeurs de presse (et les artistes) parlent dans le vide.

Lorsqu’il est question de l’aide à la presse, Mme Joly préfère étirer les conversati­ons pour reporter à plus tard la recherche de solutions. Ottawa a tort d’abandonner les grands groupes de presse à la concurrenc­e impitoyabl­e d’un duopole à peine réglementé. Les grandes salles de presse sont indissocia­bles du débat social et politique et du travail de surveillan­ce des institutio­ns publiques. Leur érosion est aussi celle de la démocratie.

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BRIAN MYLES

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