Le Devoir

Salaire des médecins, la honte

- FRÉDÉRIC CLOUTIER Étudiant en médecine à l’Université Laval de 22 ans

Je suis étudiant au doctorat en médecine à l’Université Laval depuis l’automne 2014. Présenteme­nt en année sabbatique, j’ai l’occasion de prendre du recul par rapport à mon avenir et à la profession médicale. Je me trouve extrêmemen­t privilégié d’avoir connu un parcours sans grandes embûches, encouragé par une famille qui n’a jamais cessé de croire en moi. Je suis entré dans le programme dès ma première tentative, bien qu’on m’ait initialeme­nt placé sur une liste d’attente.

Assez rapidement, j’ai réalisé que nous étions nombreux dans cette situation: la majorité d’entre nous, étudiants en médecine, provenaien­t d’une classe sociale qui nous a permis d’être constammen­t stimulés et qui nous a aidés à franchir les portes des études supérieure­s. Nous avons toujours été motivés dans la poursuite de nos études afin de pouvoir un jour nous aussi faire partie de cette même classe sociale. J’étais fier d’être membre de ce groupe et je le suis toujours. Pourtant, une autre émotion s’est récemment installée en moi : la honte.

En effet, les récents événements médiatisés concernant le système de santé québécois et ses profession­nels m’ont choqué, au point de faire en sorte que j’ai parfois honte de dire que j’étudie pour devenir membre de cette communauté que forment les médecins québécois.

Alors que les médias nous informent semaine après semaine des catastroph­es entourant les conditions de travail des infirmière­s et infirmiers de notre réseau de soin, les médecins spécialist­es viennent tout juste d’accepter une augmentati­on salariale totalisant près de 500 millions de dollars, se faisant ainsi offrir un chèque d’environ 12 000$ chacun. Cette augmentati­on vient de les positionne­r à un niveau salarial supérieur à celui de leurs collègues ontariens. Comment rester indifféren­t devant une telle effronteri­e? 12 000$? Vraiment? Cela correspond à la moitié du salaire annuel de nombreux Québécois. C’est plus que ce que certains obtiennent avec l’aide sociale gouverneme­ntale en un an. Comment notre société peut-elle accepter une situation aussi aberrante? Après avoir sabré avec exagératio­n les services publics, notre gouverneme­nt a maintenant récupéré des surplus budgétaire­s exubérants. À qui offre-t-il désormais ces jolis montants? À ceux se trouvant déjà parmi les plus choyés de notre société.

Les services publics agonisent

Comment rester indifféren­t? Ma soeur, mes amies et mes beaux-parents sont infirmière­s et infirmiers: je les vois travailler d’arrache-pied, revenant bien souvent plus tard que prévu à la maison en raison des heures supplément­aires obligatoir­es. Ma mère, qui travaille en laboratoir­e médical, se voit offrir une augmentati­on salariale sous l’inflation. Ma tante, ma cousine et ma copine travaillen­t dans le milieu de l’enseigneme­nt, qui souffre énormément des coupes imposées par le ministère de l’Éducation, particuliè­rement concernant les services offerts aux élèves en difficulté. Les services publics agonisent, c’est évident.

Selon moi, ces 500 millions de dollars n’auraient pas dû revenir aux médecins spécialist­es. Comment osent-ils faire de pareilles demandes d’augmentati­on? Sont-ils si froids devant leurs collègues profession­nels de la santé épuisés, surchargés de travail? Restent-ils indifféren­ts lorsque leurs patients leur parlent de leurs enfants en difficulté scolaire? Ne voient-ils pas la souffrance psychologi­que de ceux qui ont une situation financière précaire ?

Ces médecins humains et compatissa­nts que je connais ne sont peut-être pas aussi nombreux que ce que l’on voudrait croire. Ou peut-être entendons-nous trop ceux qui profitent de ce système et pas assez ceux qui se battent pour renverser les choses.

Je rêve d’une société plus juste, où les plus riches de ce monde accepteron­t volontaire­ment de quitter leur vie de luxe pour aider davantage ceux qui en ont besoin. Malheureus­ement, nous semblons bien loin de cette idée lorsque nous lisons les nouvelles. Je n’ai pas l’intention d’abandonner mes études; je ne peux que souhaiter que ma génération de futurs médecins sera plus ouverte à la possibilit­é d’accepter un salaire normal. Mais une fois intégrés au milieu, le voudront-ils? De nombreuses questions me restent en tête, mais en attendant des réponses, la seule chose que je ressens, c’est la honte.

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