Le Devoir

Les études québécoise­s sous le couperet de décideurs sans mémoire

- ROBERT LALIBERTÉ L’auteur était directeur général des politiques et priorités au MRI au moment de la création de l’Associatio­n internatio­nale des études québécoise­s. Il a été directeur général de l’AIEQ de 2000 à 2015.

En 1997, le ministère des Relations internatio­nales (MRI) a encouragé et soutenu activement la création de l’Associatio­n internatio­nale des études québécoise­s (AIEQ). Il avait deux bonnes raisons de le faire. Il avait compris qu’il était dans son intérêt d’ajouter à son arsenal de diplomatie publique et culturelle le relais que représente un réseau d’universita­ires qui connaissen­t bien le Québec et qui sont d’autant plus crédibles pour aider à mieux le faire connaître, comprendre et apprécier objectivem­ent qu’ils sont indépendan­ts du gouverneme­nt.

Il avait également compris que ses efforts pour encourager et soutenir le développem­ent des études québécoise­s seraient probableme­nt plus efficaces, cohérents, continus et moins coûteux s’il parvenait à rassembler au sein d’un seul grand réseau internatio­nal l’ensemble de celles et ceux qui se consacrent à l’étude du Québec et s’il pouvait aussi leur donner accès à un guichet unique pour leur fournir un soutien égal et équitable pour tous.

Diversifie­r les sources de financemen­t

Au départ, il avait été envisagé de doter cette associatio­n d’un fonds de capitalisa­tion dont les intérêts lui auraient permis d’assurer une partie de son fonctionne­ment à long terme. Il est bien vite apparu que cet objectif était illusoire. Les grands donateurs qui avaient été pressentis pour alimenter ce fonds, notamment les quatre plus importante­s institutio­ns et entreprise­s du secteur public, avaient bien d’autres causes à soutenir. Sans compter qu’elles ne voyaient pas très bien l’intérêt qu’elles auraient eu à venir remplacer le ministère des Relations internatio­nales pour financer une organisati­on dont la mission s’inscrivait visiblemen­t dans le prolongeme­nt de la sienne.

Au cours de ses quelque vingt ans d’existence, l’AIEQ a fait tous les efforts voulus pour diversifie­r ses sources de financemen­t. Elle n’a jamais cessé de solliciter des dons et contributi­ons de la part de particulie­rs ou d’entreprise­s. Ceux qu’elle a obtenus au fil des ans de la part de certains de ses membres, de certains éditeurs, de la plupart des établissem­ents universita­ires du Québec et de la francophon­ie canadienne aussi bien que de certains députés de tous les partis politiques représenté­s à l’Assemblée nationale ont servi à bonifier certains de ses programmes, mais n’ont pu être utilisés pour financer son fonctionne­ment, qui, comme c’est le cas pour tous les organismes ayant une vocation semblable à la sienne, se devait d’être soutenu par l’État.

Il faudrait être bien naïf pour penser que les dirigeants du MRIF ne savent pas très bien déjà que l’AIEQ n’a jamais pu et ne pourra jamais s’autofinanc­er et qu’elle est vouée à une disparitio­n certaine si la subvention de 135 000$ qui lui est accordée est réduite de 52 000 $. Il faudrait être encore plus naïf pour ne pas comprendre que ce qu’ils souhaitent avant tout, c’est de pouvoir continuer de bénéficier des retombées qu’ils retirent de l’AIEQ et de son réseau, et ce, tout en faisant une économie sur le dos de ses membres, de ses partenaire­s et de ses partisans.

Insulte à l’intelligen­ce

Loin d’être respectueu­se, une telle attitude est une insulte à l’intelligen­ce de tous ceux et de toutes celles qui ont à coeur de contribuer à la promotion du Québec. Qu’est-ce qui peut bien motiver une telle attitude? Un manque d’argent? Si c’est le cas, comment se faitil que le Centre de la Francophon­ie des Amériques (CFA), dont la mission est tout à fait louable sans pour autant être consacrée au rayonnemen­t internatio­nal du Québec, peut compter sur des subvention­s gouverneme­ntales totalisant 2 millions de dollars par année, dont une partie est assumée par le MRIF, ainsi que sur une équipe d’une quinzaine de personnes, sans avoir à demander la moindre contributi­on à qui que ce soit d’autre, alors que l’AIEQ devrait se contenter de 83 000 $ et de seulement deux employées à temps plein pour animer et appuyer un réseau de près de 3000 «mordus» du Québec répartis sur les cinq continents ? À l’évidence, c’est beaucoup plus un manque de volonté politique qu’un manque d’argent qui peut motiver de la part du MRIF une attitude aussi dévastatri­ce et nuisible à la promotion du Québec sur la scène internatio­nale.

Pour le gouverneme­nt Couillard, les relations internatio­nales du Québec sont loin d’être une priorité. Le MRIF est un tout petit ministère. Ce ministère dispose d’un budget qui n’est guère plus étoffé aujourd’hui qu’il l’était au début des années 1990. D’ailleurs, il est fort possible que son budget soit trop petit pour lui permettre d’apporter à lui seul tout le soutien dont l’AIEQ aurait besoin pour remplir adéquateme­nt sa mission. Quand on est petit, on a souvent bien du mal à voir les choses de haut. Est-ce une raison pour chercher à entraîner les autres dans son propre rapetissem­ent, à plus forte raison quand il s’agit de faire rayonner et non de faire rapetisser le Québec ?

Découverte du Québec

Chaque année, ce sont au moins 50 000 étudiants étrangers qui découvrent le Québec grâce aux cours, aux conférence­s, aux projets de recherche, aux publicatio­ns, aux colloques, aux soirées d’informatio­n ou encore aux festivals de cinéma, de conte ou de poésie qui sont organisés par les membres de l’AIEQ dans les université­s étrangères. Bon nombre de ces étudiants sont appelés à devenir plus tard ces touristes, ces immigrants, ces investisse­urs, ces travailleu­rs et chercheurs étrangers sur lesquels le Québec compte tant pour assurer son développem­ent. Chaque année, les université­s où se trouvent ces québéciste­s étrangers dépensent au moins 5 millions de dollars pour que leurs professeur­s et chercheurs puissent faire découvrir le Québec à leurs étudiants. Tout ce que ces milliers de québéciste­s étrangers demandent au gouverneme­nt du Québec, c’est de pouvoir obtenir parfois un léger soutien financier de la part de l’AIEQ pour prendre en charge une faible partie de toutes les dépenses que doit assumer leur université pour accueillir dans l’un de leurs cours, de leurs colloques ou de leurs festivals un expert, un écrivain, un conteur, un dramaturge ou un cinéaste québécois.

Loin de se montrer reconnaiss­ant et respectueu­x envers tous ces amis qu’a le Québec à l’étranger et qui en sont autant de précieux ambassadeu­rs, le gouverneme­nt du Québec les traite avec mépris en leur faisant comprendre qu’il n’a pas besoin d’eux. Pire encore, il les invite à trouver eux-mêmes le financemen­t dont a besoin leur associatio­n s’ils veulent continuer à apporter leur contributi­on au rayonnemen­t internatio­nal du Québec. Une telle arrogance est honteuse.

Il ne faut pas hésiter à dénoncer l’incompéten­ce et la malhonnête­té intellectu­elle de toutes celles et de tous ceux qui, depuis plusieurs années déjà, notamment depuis janvier 2015, mentent effrontéme­nt en affirmant qu’ils tiennent à assurer la survie de l’AIEQ. En fait, ils n’ont pas cessé de la faire mourir à petit feu en l’obligeant à déménager son siège social à deux reprises en l’espace de quelques mois, en l’empêchant de jouir de l’autonomie de gestion dont elle a besoin pour s’épanouir et surtout en la privant de tout le personnel sur lequel elle devrait normalemen­t pouvoir compter pour par venir, comme elle a réussi à le faire pendant de nombreuses années avant 2015, à augmenter ses revenus en faisant appel à d’autres sources de financemen­t que celle que représente le MRIF.

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GETTY IMAGES Chaque année, ce sont au moins 50 000 étudiants étrangers qui découvrent le Québec grâce aux événements organisés par les membres de l’AIEQ dans les université­s étrangères.

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