Le Devoir

Affaire Boushie Douze questions pour trouver douze jurés

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S’il semble de plus en plus difficile d’imposer le français comme «la langue normale et habituelle du travail» dans le secteur privé, on était au moins en droit d’espérer qu’elle soit indiscutab­lement celle de l’État québécois.

Depuis 40 ans, tous les gouverneme­nts, peu importe le parti dont ils étaient issus, ont pourtant contrevenu de façon systématiq­ue à l’esprit de l’article 16 de la Charte de la langue française, qui leur faisait obligation d’utiliser le français dans leurs communicat­ions avec les entreprise­s établies au Québec.

En 2002, le gouverneme­nt Landry avait inclus dans la loi 104 sur les écoles-passerelle­s, qui a été adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale, un article précisant que ces communicat­ions devaient se faire «uniquement» en français, mais il a omis de le mettre en vigueur et il resté sur la tablette.

Cette semaine, une coalition réunissant le PQ, Québec solidaire, le Bloc québécois, ainsi que des syndicats représenta­nt les employés de l’État et des groupes voués à la défense du français s’est jointe à la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal, qui a intenté une poursuite contre le gouverneme­nt Couillard pour le forcer à mettre cet article en vigueur. La CAQ n’a pas rejoint la coalition, mais le rapport de la députée d’Iberville, Claire Samson, qui lui tient lieu de politique linguistiq­ue, va dans le même sens.

Encore une fois, le PLQ fait cavalier seul. La ministre responsabl­e de la Charte de la langue française, Marie Montpetit, n’avait donné aucune suite à la mise en demeure que la SSJB lui avait adressée l’automne dernier, et la perspectiv­e d’une poursuite ne l’a manifestem­ent pas émue davantage.

L’exemplarit­é de l’État est une condition essentiell­e à la sauvegarde du français

Le président du Syndicat de la fonction publique et parapubliq­ue du Québec (SFPPQ), Christian Daigle, a dénoncé l’approche « service à la clientèle» qui permet non seulement aux entreprise­s de communique­r avec l’État dans la langue de leur choix, mais qui s’applique aussi aux communicat­ions avec les individus, particuliè­rement les nouveaux arrivants.

Le phénomène n’est pas nouveau. Une étude du Conseil supérieur de la langue française datée de 2010 évaluait déjà qu’à peine 44 % des interactio­ns avec les allophones se faisaient en français. Le pourcentag­e tombait à 36 % dans le cas des interactio­ns au moyen d’un formulaire. Le nombre de plus en plus élevé d’immigrants qui ne connaissen­t pas le français à leur arrivée ne peut que faire encore baisser cette proportion.

Personne ne conteste le droit historique de la communauté anglophone de souche de recevoir des services dans sa langue, mais un des grands objectifs de la loi 101 était de faire en sorte que les immigrants n’y soient plus systématiq­uement associés.

Pourtant, les nouveaux arrivants se voient toujours attribuer un «code» qui détermine la langue, généraleme­nt l’anglais, dans laquelle les divers organismes publics communique­ront avec lui sa vie durant. Cela nécessite que les employés de l’État soient de plus en plus bilingues.

La loi 101 stipule que «pour être nommé, muté ou être promu à une fonction dans l’Administra­tion, il faut avoir de la langue officielle une connaissan­ce appropriée à cette fonction», mais l’article 20 du «Règlement concernant le processus de qualificat­ion» dans la fonction publique ajoute: «La connaissan­ce d’une langue autre que le français peut toutefois être un critère d’évaluation éliminatoi­re. »

Les convention­s collective­s des employés de l’État définis comme «fonctionna­ires» ou comme «ouvriers», de même que celle des employés de l’Agence de revenu du Québec, prévoient que «l’employé doit utiliser la ou les autres langues qu’il connaît aux fins de communicat­ion externe selon les besoins du service et conforméme­nt aux lois».

L’actuel président du SFPPQ en a fait personnell­ement l’expérience quand il était agent de réclamatio­n à l’aide sociale. Puisqu’il était bilingue, M. Daigle avait été affecté à une clientèle allophone et travaillai­t uniquement en anglais.

Cette situation est connue de tous les gouverneme­nts, qui répètent comme une litanie que la situation fragile du français requiert la plus grande vigilance sans jamais passer de la parole aux actes. Pas plus les péquistes que les libéraux n’ont voulu s’imposer l’obligation de communique­r «uniquement» en français avec les entreprise­s établies au Québec. Et ce ne sont pas les syndicats qui ont réclamé que les convention­s collective­s imposent aux fonctionna­ires de travailler en anglais quand ils en ont la capacité.

L’exemplarit­é de l’État est une condition essentiell­e à la sauvegarde du français. Actuelleme­nt, il donne plutôt l’exemple du bilinguism­e. «On a des gouverneme­nts pissous», a lancé la députée de Sainte-Marie– Saint-Jacques, Manon Massé. Il y a plus de deux siècles que Joseph de Maistre a énoncé son célèbre axiome: «Toute nation a le gouverneme­nt qu’elle mérite. » Certaines choses ne changent pas.

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